L'étatisme, forme moderne de la magie noire François-René Rideau |
Une version de cet article a été publiée dans le numéro 108 du Québécois Libre. J'ai depuis légèrement retouché la forme, éclairci le propos, ou annoté l'article, sans en modifier le fond. Pour un développement systématique des idées présentées dans cet article, voir mon essai L'État, Règne de la Magie Noire.
Abstract: Nous partons de la notion de « biens publics » qui est au cœur de l'explication à la fois la plus fréquente et la plus générique donnée pour justifier la nécessité de l'État d'un point de vue économique utilitariste. Nous en démontons l'argumentation et les articulations, et mettons en évidence les contradictions du système de croyance associé. Nous identifions alors les structures psychologiques qui permettent à ce type spécifique de pseudo-explications de persister, et qui servent ainsi de fondement réel à la croyance en le caractère bénéfique de l'État.
1 Les « biens publics », superstition moderne |
Les économistes étatistes aiment bien justifier l'existence de leur Léviathan par une notion de « biens publics » [1], biens dont on ne pourrait pas exclure les tiers, que seul l'État pourrait faire émerger et gérer. Cette pseudo-notion est tristement reprise jusque par d'aucuns libéraux, de façon fort hâtive à notre goût. En effet, la gestion d'éventuels « biens publics » ne pose aucun problème, et l'État n'est pas la solution à ce problème hypothétique.
Tout d'abord, quel problème y a-t-il si d'autres jouissent de la même chose que nous? Tant mieux, si d'autres en profitent! Pourquoi en être jaloux? La civilisation, la langue, la culture, la beauté, la science, les bonnes manières, la bonne atmosphère qui règne dans un marché libre, sont autant de « biens » dont tous jouissent sans que nul n'ait à s'en plaindre. Y a-t-il des jouissances impossibles à rendre exclusives qui perdent leur valeur dès lors que des tiers en profitent aussi? Si la réponse était « oui », alors ces jouissances, à la fois impossibles à rendre exclusives et sans valeur (subjective) une fois partagées, sont intrinsèquement sans valeur. De telles pseudo-jouissances ne seront pas financées par des individus libres, et c'est tant mieux, car elles ne valent en fait rien. L'État ne peut faire que du mal en finançant de telles jouissances qui n'en sont pas, car elles perdront leur valeur par leur partage même! Si la réponse est « non », alors il n'y a aucun problème à ce que ces tiers profitent « d'externalités positives » [2] et ils ne sont pas une gêne à la réalisation de telles jouissances partagées — au contraire, ils sont des partenaires potentiels pour financer ces jouissances.
Plaçons-nous donc dans ce dernier cas où le but est de coordonner le financement d'une jouissance concernant de nombreuses personnes, aucune n'en profitant assez pour financer seule la chose, et aucune ne pouvant exclure les autres de la jouissance a posteriori. C'est-à-dire que la coordination doit avoir lieu a priori. Et alors? Le fait de réunir des capitaux pour une entreprise commune est typiquement le genre de chose que les marchés libres font de manière juste, efficace, responsable. C'est une affaire de communication, de marketing, d'information, de capital confiance, d'investissement à long terme, etc. [3]
En quoi l'État est-il une « solution »??? Il ne fait qu'introduire la coercition et l'irresponsabilité dans ce qui était sinon une affaire libre et responsable. Diminue-t-il le marketing, la publicité, ces phénomènes honnis par nos élites gauchistes bien-pensantes? Que nenni! Il remplace les campagnes d'informations responsables (car financées à hauteur des bénéfices escomptés par des individus passibles de poursuites en cas de tromperie) par de la propagande et du marketing politique irresponsables (car financées par les contribuables contraints et forcés et les lobbies repus de rackets politiques, et vecteurs de mensonges et promesses jamais tenues dont les auteurs s'auto-amnistient si on ose les poursuivre). Pire encore, au lieu des investissements sur vingt, trente ans et plus, typiques des fonds de pension privés, ou les investissements sur de nombreuses générations, typiques des familles dont les successions ne sont pas pillées par l'État, les États sont le lieu d'une gestion des problèmes au jour le jour, où les intérêts du public ne sont pris en compte que dans la mesure où il y a un contrôle électoral, forcément très lâche, dont l'influence confine toute prise de décision à ne rien considérer au-delà de l'horizon du prochain mandat électoral.
2 La religion étatiste et son orthodoxie démocratique |
Bien loin de résoudre le moindre « problème » d'externalité, l'étatisme ne fait que concentrer ces externalités en une externalité centrale, gigantesque, démesurée, celle du choix du gouvernement. Alors que dans un régime de liberté, chacune des externalités peut trouver une solution adaptée, soucieuse des droits de chacun [4], la politique force à chercher une solution simultanée à la gestion de toutes ces externalités, dans une vente forcée titanesque, qui constitue une injure au droit de chacun et repose ultimement sur la promesse d'écraser les mécontents dans le sang. Faut-il moins de marketing, de lobbying, pour convaincre un gouvernement de financer tel projet, qu'il n'en faudrait pour convaincre les individus concernés? Certainement pas[5]! D'autant moins quand ce gouvernement est issu des urnes, et qu'il faut auparavant faire un lobbying monstre pour convaincre non pas les 1% à 10% de contributeurs responsables et concernés suffisants pour financer tel ou tel projet, mais les 51% d'électeurs irresponsables et ignorants nécessaires pour infléchir la politique du gouvernement [6].
Au lieu qu'il y ait autant d'institutions responsables qu'il y a de ressources (toutes internalisées) à gérer, chaque dirigeant devant bien gérer ses affaires sous peine de faire faillite et de perdre alors sa charge au profit de meilleurs gestionnaires, il y aura un gros monopole irresponsable sur les ressources externalisées, dont la faillite permanente sera à la charge des contribuables, et à la tête duquel les électeurs mettront un démagogue choisi pour être le moins insupportable parmi les multiples maux proposés. Le problème est-il dans la disparition d'un prétendu sentiment « citoyen » de responsabilité publique? Mais ce sentiment n'a jamais existé. Pire encore, c'est l'État, en expropriant les individus de leur droit de vivre librement selon leurs choix personnels, qui a aboli le sentiment de responsabilité privée qui vient naturellement à chaque propriétaire.
Non vraiment, ceux qui voient dans le gouvernement la solution à quoi que ce soit se mettent le doigt dans l'œil. Qui plus est quand le gouvernement, démocratiquement élu, est censé créer la coordination a posteriori, alors même que ses actions sont censées dériver leur pouvoir et leur légitimité de leur conformité vis-à-vis d'une coordination a priori. En fait, l'étatisme, en légitimant certaines formes de coercition, crée des externalités négatives, qui sont le problème même, la sources des conflits, de la destruction, des comportements irresponsables dans la société. Par opposition, le libéralisme, par la définition de droits de propriété, internalise toutes les ressources contestées, et en responsabilise ipso facto l'usage; il ne laisse que des externalités positives, qui ne sont pas des problèmes mais autant d'opportunités de progrès et de coopération.
3 L'étatisme, croyance superstitieuse en l'auto-humiliation |
Les étatistes n'ont rien compris à la structure des relations humaines. Leur vision du monde procède d'un mode de pensée magique, celui des enfants en bas âge: le mode de pensée selon lequel il suffirait crier, pleurer, implorer, ou faire la bonne incantation pour que soudain la manne vienne d'en haut, provenant directement de la réserve inépuisable des dieux-protecteurs qui travaillent pour nous. Or, le marché est une structure d'individus libres qui chacun ont leur tête et leur âme, mais de par sa nature, il n'est pas lui-même une personne avec une tête, une âme. Il n'est pas possible de faire une prière, de se prosterner à ses pieds, pour qu'il exauce d'un coup de baguette magique les fantasmes absurdes des oisifs qui aimeraient avoir tout pour rien — bref, les candidats au parasitisme, tous ceux qui se bercent de l'illusion de jouissances obtenues magiquement sans travail (du moins pour eux) détestent le marché, cette réalité humaine qu'ils ne peuvent appréhender; ils appellent de leur vœu un Dieu à adorer, un Léviathan aux pieds duquel se vautrer, un roi ou un sorcier qu'ils flatteront, auxquels ils obéiront, devant lequel ils s'humilieront, pour qu'il réalise leur vœu de jouissance oisive. [7]
Or, ce vœu peut à la rigueur être réalisé pour une caste de privilégiés — les courtisans du pouvoir, ses ministres et ses spadassins — qui vivraient des efforts d'une masse opprimée et asservie. Une telle chose est sans doute immorale, injuste, méprisable; elle est néanmoins possible et réaliste, et moult fois réalisée. Ceux qui souhaitent rester ou devenir de tels privilégiés sont des « ennemis du peuple », en guerre, ouverte ou secrète, avec tous ceux qu'ils veulent opprimer; mais du moins sont-ils cohérents, et peuvent-ils arriver à leurs fins. C'est d'ailleurs historiquement ainsi que sont nés tous les États — des machines à conquérir, à opprimer, à broyer toute opposition. C'est aussi ainsi qu'ils se maintiennent; ce qui les caractérise demeure d'être des monopoles de la force, obtenant par la coercition ce que nul ne pourrait obtenir du libre consentement d'autrui, au bénéfice d'une caste privilégiée.
Par contre, ce vœu n'est pas réalisable comme bénéficiant à tous; car il n'y a pas de baguette magique. La seule baguette qui existe est celle qui sert à opprimer, à réprimer, à comprimer, à détruire. Les étatistes auront beau promettre, l'État ne pourra jamais créer. Les hommes de l'État auront beau réunir ici un tas de richesses, ils ne le pourront qu'en prélevant ces richesses et davantage auprès de leurs victimes. Ils auront beau prendre de force, puis redistribuer une partie, conjuguer le bâton avec la carotte, ils ne pourront jamais donner plus qu'ils ne prendront — ils donneront même toujours moins, car la coercition est un jeu à somme négative. Ils pourront s'arranger pour que les gains marginaux à coopérer, et les pertes marginales infligées aux dissidents soient tels et telles qu'ils s'assurent la servitude volontaire des masses (et dans une certaine mesure, toute servitude est volontaire). Ils pourront même emprunter, c'est-à-dire détruire les richesses futures pour acheter le consentement présent. Mais ils ne pourront pas faire que l'État crée à partir de rien; ils ne pourront pas faire qu'il donne plus qu'il ne prend. Ils n'auront jamais comme tout moyen d'action que la coercition, et ils ne pourront jamais faire de la coercition un acte positif. L'État-Providence en général, et l'État garant de tels services en particulier (défense, justice, sécurité, hôpitaux, recherche, éducation, routes, télécommunications, etc. — la liste n'a pas plus de raison de s'arrêter qu'elle n'avait de commencer), est un donc mythe sans fondement. Ce mythe peut servir à tromper les masses rationnellement ignorantes, et à obtenir plus facilement de ces masses le consentement à leur servage (et le meilleur escroc est toujours celui qui croit à son boniment); il ne sera jamais une réalité. Ce n'est qu'une superstition.
4 L'obscurantisme religieux des étatistes |
D'une intolérance religieuse extrême, les étatistes, s'ils sont trop lâches pour rien faire isolément, sont prêts, en meute, à user de toute la panoplie de la coercition — de l'enrégimentement obligatoire des enfants, à la spoliation des dissidents et à et l'emprisonnement voire l'exécution des résistants — pour forcer ceux qui n'adhèrent pas à leur religion à payer hommage et tribut à leur Dieu-État, et à nul autre. Mais, plus que tout, ils abhorrent l'idée que des esprits plus libres qu'eux puissent se passer d'une superstition similaire à la leur, car cette liberté les met face à leur abjection. C'est ainsi qu'ils haïssent la liberté du tréfonds de leur âme, et qu'ils ont horreur de son expression, le marché libre.
En effet, on peut voir l'État comme une entité personnelle, identifiée à ses dirigeants, sensible aux flatteries, influençable, et susceptible de donner tout pour rien (du moins sans que le coût ne retombe, en apparence ou en réalité, sur le bénéficiaire de chaque largesse accordée), et située au-dessus de la société; on peut oublier tous les phénomènes qui, dans cette société, sont constitutifs de l'émergence de l'État en particulier et du fonctionnement social en général. Mais on ne peut pas du tout implorer un marché libre, l'influencer oisivement, par la prière ou la magie, par l'auto-humiliation ou la corruption. On ne peut pas tricher avec un marché libre. On ne peut parasiter un marché qu'en usant de la force et de la tromperie — bref, en abolissant sa liberté, en établissant un État. Le marché libre refuse d'être un Dieu et de se laisser adorer; les superstitieux doivent l'enchaîner avant de pouvoir l'adorer, et l'enchaîner toujours davantage pour en extraire des « miracles » payés au prix du sang.
5 Les lois de la nature se fichent bien des superstitions |
Une société libre, basée sur le respect des droits individuels de propriété, est une structure complexe constituée d'innombrables réseaux interpersonnels, et n'est pas réductible à une poignée de personnes ou de dieux personnels. La structure de ce tissu social dont les fibres sont des relations entre individus est essentiellement invisible et ineffable, dépassant toute compréhension complète; de même que tout phénomène naturel, elle est néanmoins régie par des lois physiques, c'est à dire des lois de la nature, connaissables au même titre que les lois de la mécanique ou de la chimie.
Les étatistes croient pouvoir échapper à cette complexité par la superstition; ils croient pouvoir s'affranchir des lois de la nature en les ignorant. Mais tels des autruches se cachant la tête, ils ne changent pas la réalité en refusant de la voir [8]. Dans une société étatique, la poignée de personnes visibles n'est que la partie émergée de l'iceberg; la société dans son ensemble reste une structure soumise aux lois de la nature; les forces exercées sur ce point névralgique — ou plutôt cette tumeur — qu'est l'État se répercutent nécessairement dans tout le système, sans pouvoir violer ces lois sociales universelles. La réduction de la société à son gouvernement, qui serait une entité extérieure au système et au-dessus de ses lois, n'est qu'une illusion, d'où découlent les absurdités que profèrent les étatistes. Mais du moins cette réduction conceptuelle peut faire illusion dans le cas d'une société étatique, tandis que la réalité est incontournable dans le cas d'une société libre.
C'est ainsi que toute action effectuée par l'État, et justifiée par les étatistes au nom de calculs faits dans leur modèle faux où l'État est une entité externe et supérieure, engendre dans la société une réaction égale et opposée qui compense les bénéfices escomptés de leur action; au bilan de chacune de leurs interventions politiques, il ne reste qu'une destruction nette, égale à la coercition mise en œuvre pour faire appliquer leurs actions. Le sophisme essentiel sous-tendant toute la « logique » étatiste est donc celui de ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas [9]: les étatistes, pour satisfaire leur pensée magique, se raccrochent à un système où ils peuvent voir et comprendre les effets positifs bien visibles obtenus en agissant et ne veulent surtout pas considérer tous les effets secondaires négatifs de leur action. Ces effets ne sont pourtant qu'une réaction, et le lien de causalité qui lie leur action à cette réaction est certain et nécessaire, car il procède inéluctablement des lois sociales de la nature. Ce lien est toutefois invisible à l'œil, seulement accessible à l'intellect, et incompréhensible pour quiconque se place dans leur paradigme fallacieux. C'est cette incapacité à vouloir comprendre ou accepter les mécanismes de base de la société, les lois sociales fondamentales, ou plutôt cette volonté de ne pas comprendre, cette complaisance à accepter un paradigme simpliste, qui fait que les étatistes se sont détournés du respect de la dure mais féconde Liberté pour se tourner vers ce Dieu faiseur de miracles mais funeste qu'est l'État.
6 La personnification du marché en un épouvantail écervelé |
Puisque le marché libre ne se laisse pas personnifier comme un Dieu vénal se laissant corrompre par leurs offrandes oisives et veules et répondant à leurs simples prières par des miracles, les étatistes souvent personnifient ce marché comme un esprit malin dénué de cœur, qu'il ne faudrait laisser jouer que sous la surveillance de leur Dieu-État. Ce démon négatif leur est un bouc émissaire facile à blâmer en cas d'insuccès ou de catastrophe, facile à accabler en cas de malheur, puisqu'il n'a pas de porte-parole pour le défendre; on peut en profiter pour le traiter de stupide et déficient. Les grand'prêtres économistes-statisticiens sous la houlette du gouvernement se chargeront d'interpréter les humeurs de ce démon muet et de justifier toute intervention de l'État à son sujet, tandis que les bourses d'échanges, sous contrôle de l'État, feront office de figures à conspuer publiquement, tantôt au prétexte de ce qu'elles prospèrent, tantôt au prétexte de ce qu'elles font des pertes.
Le concept de « déficience du marché » est un mythe étatiste dont la justification est circulaire et infondée. Les étatistes présupposent que l'État peut faire mieux, qu'Il dispose de toute l'information dont dispose le marché et plus encore, qu'Il est constitué d'êtres supérieurs situés au-dessus des lois sociales, et que Ses désirs sont des ordres auxquels la nature elle-même se plie. En l'occurrence, la seule déficience, c'est la déficience mentale de ceux qui personnifient des entités abstraites comme « marché » et « État », et en font des dieux aux pouvoirs illimités et aux désirs arbitraires, d'où ils tirent des conclusions absurdes. La seule façon rationnelle de comprendre ce qu'est un marché libre d'une part, et ce qu'est un marché dirigé ou réglementé par l'État d'autre part, c'est de les analyser comme des systèmes d'interaction entre individus; et la distinction à laquelle on aboutit nécessairement est que le premier est basé sur la liberté et la responsabilité, tandis que le second est basé sur la cœrcition et l'irresponsabilité.
La prochaine fois que vous verrez dans un reportage ou lirez dans un article la description des superstitions de telles ou telles sociétés primitives, et de leurs offrandes rituelles à tel ou tel Dieu protecteur, ne riez pas! Et ne vous étonnez pas non plus que les sociologues gauchistes prétendent que toutes les croyances se valent. Car effectivement, les croyances des gauchistes et autres étatistes ne valent pas mieux que les superstitions des peuplades les plus frustes. Les étatistes, pas moins que les barbares les moins civilisés, adorent un Dieu dont ils attendent des miracles qui violeront les lois de la nature, pourvu qu'ils s'humilient devant lui, et lui fassent (via la taxation) le sacrifice humain des quatre cinquièmes de leur vie (ou si possible de celle des autres), dans le respect de ses rituels administratifs et électoraux. Cette religion se maintient par l'apprentissage obligatoire d'un corps dogmatique de croyances, enseignées dans des cours de catéchisme rebaptisés « éducation nationale » par des commissaires politiques formés dans les sempiternelles universités de théologie, d'où l'on répand les superstitions sur lesquelles repose la croyance en le Dieu-État moderne. L'étatisme n'est que la forme moderne de la magie noire [10].
[1]: Cette justification en terme de bien public est le cas général de tout un ensemble de justifications particulières données concernant un « bien public » spécifique ou une catégorie particulière de « biens publics »: sécurité (police, justice, armée), infrastructure (transports, télécommunications, éducation, santé), « harmonisation » de tel ou tel service (information, éducation, langue, droit, nourriture, standards industriels), certification (identité, cadastre, notariat, conformité à des normes industrielles), etc.
[2]: Dans le jargon économique, une externalité est tout effet subit par un tiers non consentant lors d'une action ou transaction. L'externalité est dite positive si l'effet est considéré comme bénéfique par la tierce personne, et négative s'il est considéré comme nuisible. Nul ne se plaint d'une externalité positive. Le problème est celui des externalités négatives. La « solution » étatiste aux externalités négatives est de créer des « biens publics » sous gestion politique, avec une justice pénale pour punir ceux qui violeraient les règles édictées par le pouvoir, indépendamment de toute victime réelle. Dans un tel système, il est impossible d'évaluer les pertes subies, et il n'est pas question de les réparer; il n'y a qu'une gestion administrative. Chacun aura dès lors intérêt à exploiter la ressource administrée du plus qu'il le peut à l'intérieur des règles établies et effectivement appliquées; ainsi survient dès qu'il y a des « biens publics » un problème de surexploitation, bien connu sous le nom de « tragedy of the commons ». À l'opposé, la solution libérale est de faire apparaître systématiquement des droits de propriété partout où il y a contentieux (et si possible avant), basés sur le droit du créateur et celui du premier occupant, puis de poser les principes d'une justice réparatrice, à partir duquel moment toutes les externalités sont « internalisées ». L'objet de tout contentieux aura forcément un ou plusieurs propriétaires, déterminés par arbitrage selon la jurisprudence s'il le faut; les personnes coupables de nuisance devront alors réparer le mal qu'elles ont fait envers les propriétaires lésés, ou être débiteurs envers leurs victimes d'un bien équivalent aux dommages causés (y compris intérêts, frais de justice et de police), quitte à faire faillite et/ou à être débiteur à vie sans jamais pouvoir rembourser complètement. Dans un tel contexte, il n'y a plus d'externalités négatives possibles.
[3]: Pascal Salin remarque judicieusement dans son livre Libéralisme qu'en fait d'impossibilité à assurer l'exclusivité de tels prétendus « bien publics » que les routes, les infrastructures « sociales », l'information, etc., l'État ne se prive pas de s'assurer cette exclusivité, par le contrôle de l'immigration, le mécanisme de la nationalité, les privilèges de propriété intellectuelle, etc. En fait, ce sont là autant de biens privés que l'État a confisqué à ses légitimes propriétaires, pour lesquels il a érigé un monopole, et par lesquels il opprime tous ceux qui ne peuvent plus librement entrer et sortir d'un système qu'il définit par la force et gère de manière irresponsable: les consommateurs de services à conditions imposées, les exclus de ces services, et tous ceux qui sont empêchés de le concurrencer. Les péages et les abonnements, les accords de protection ou d'assurance mutuelle, le secret et les accords de confidentialité, les contrats préalables de licence ou de service, les promesses conditionnelles de transaction, les souscriptions, sont des moyens de définir et partager des droits de propriété exclusifs sur autant de prétendus « biens publics » de façon contractuelle, c'est à dire sans violence, entre individus libres et responsables, sans besoin de recours à une autorité supérieure irresponsable. À chaque fois, c'est l'État lui-même qui organise la pénurie à travers les barrières monopolistiques, privilèges et réglements coercitifs, qu'il monte sous couvert d'« intérêt général » et de « réglementation »; puis il se présente en sauveur et en « régulateur » quand une entreprise « privée » est si efficace dans sa façon de gérer ses privilèges accordés par l'État qu'elle prend une taille gigantesque (voir les procès anti-trust du gouvernement contre AT&T, Microsoft, etc.).
[4]: Ceci comme nous l'avons vu, justement en internalisant les ressources disputées au sein des choses régies par le droit de propriété, c'est à dire en définissant les droits de propriété respectifs des diverses parties du conflit.
[5]: Le lobbying est-il moins vicieux et sournois quand la réglementation l'empêche de se faire au grand jour? Non plus. Les lois de « moralisation » de la politique ne sont en fait que des moyens d'accentuer le pouvoir des politiciens établis, de les financer à l'exclusion de concurrents émergents potentiels, et de diminuer le contrôle populaire en donnant davantage d'influence aux tractations qui ont lieu dans l'ombre.
[6]: Notons que puisque les externalités sont groupées, les électeurs voteront en fonction de la poignée d'externalités qui leur paraissent les plus importantes sur le moment, quitte à voter pour un candidat dont la position sur d'autres sujets leur déplaît fortement. Plus généralement, au lieu de pouvoir décider sur chaque sujet à qui ils veulent vraiment faire confiance, les électeurs doivent voter pour un candidat globalement « moins pire » parmi un choix très limité. Donc, même une écrasante majorité ne peut qu'infléchir les décisions politiques, alors que dans un régime de liberté, chaque personne a sur la marche des choses un effet marginal proportionnel à son travail, et des minorités organisées peuvent activement faire avancer les causes qui leur tiennent à cœur sans nuire aucunement aux personnes non concernées.
[7]: Les racines psychologiques de ces superstitions plongent dans le comportement infantile d'exigence criarde vis-à-vis des parents, mais aussi dans les pratiques d'auto-humiliation communes chez les primates vis-à-vis des supérieurs dans la hiérarchie de domination sexuelle et sociale, un signe de soumission et d'allégeance pour s'attirer leurs bonnes grâces et s'épargner leur violence, etc. (cf. The Moral Animal de Robert Wright). Ce qui est pathologique à propos de l'étatisme est d'appliquer de tels comportements innés à des cas où ils n'ont pas lieu d'être. Les étatistes cherchent à tout prix un être supérieur à implorer et devant lequel s'humilier; pour cela, ils créent de toute pièce une idole, en personnifiant des processus sociaux lors même qu'une telle réduction est inapplicable.
[8]: Comme l'a bien définie Philip K. Dick, « Reality is that which, when you stop believing in it, doesn't go away » — la réalité est ce qui ne s'en va pas dès qu'on arrête d'y croire.
[9]: Pour reprendre le titre du célèbre pamphlet de Frédéric Bastiat.
[10]: Voir notre autre article, Magie blanche contre magie noire.
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