Le faux problème de l'immigration François-René Rideau |
Cet article a été originellement écrit le 7 août 2002. Il a été mis à jour en janvier 2003 et publié sur la Page Libérale. Pour toute discussion, on pourra utiliser le forum adéquat.
1 Le contrôle de l'immigration, ou le piège étatiste à l'oeuvre |
Les étatistes justifient le contrôle de l'immigration par la « nécessaire » exclusion des étrangers hors des « biens publics » que l'État gère [1], et qui seraient sinon pillés par les nouveaux venus (d'où la fameuse phrase « la France ne peut supporter toute la misère du monde » du premier ministre socialiste Michel Rocard pour expliquer comment malgré leur cœur soi-disant débordant de générosité, les socialistes au gouvernement intensifiaient le caractère oppressif des mesures étatistes relatives à l'immigration). Cependant, c'est précisément au nom de l'impossibilité d'exclure quiconque de ces « biens publics » que les étatistes justifient la « nécessité » d'un État pour gérer ces biens (voir notre article l'étatisme, forme moderne de la magie noire). Ce paradoxe, ou plutôt cette imposture, avait déjà été relevé par Murray Rothbard, et a été parfaitement mis en évidence par Pascal Salin dans le chapitre sur l'immigration de son excellent livre Libéralisme [2].
D'aucuns libéraux, tombant dans le piège des étatistes, acceptent l'idée selon laquelle même s'il ne devrait pas y avoir de politique d'immigration dans un pays libre, puisqu'il y a un système de protection sociale et d'autres « bien publics », il est naturel de soutenir des mesures de contrôle de l'immigration tant que ces biens publics existeront [3]. Mais c'est bien là le piège essentiel des étatistes: justifier toujours davantage d'oppression, comme palliatifs à la faillite des mesures oppressives passées. C'est ainsi que les étatistes insinuent leur oppression partout dans notre vie, faisant d'abord voter une loi bénigne, un impôt ridiculement faible, ou une autre mesure initialement trop négligeable pour susciter une résistance. Puis, capitalisant sur les malheurs que cette mesure crée [4], les étatistes attribuent ces malheurs à une « insuffisance » de l'intervention étatique. L'incompétence des services administratifs, l'irresponsabilité des dirigeants politiques, seront prétexte non pas à dissoudre ces services et renvoyer ces dirigeants, mais à étendre encore et encore l'État par des services de compensation et de surveillance, à augmenter les impôts pour renflouer les faillites à répétition et autres déficit créés par la caste des privilégiés de l'État, qui obtient sa prospérité présente en sacrifiant le passé, le présent et le futur de toute la population asservie.
Non, vraiment, c'est cette logique elle-même qu'un libéral authentique rejettera. Ainsi que l'explique bien Murray Rothbard dans la 5ème partie de son Éthique de la Liberté, l'attitude véritablement libérale en politique est une attitude abolitionniste. Les authentiques libéraux sont des abolitionnistes, qui refusent de cautionner quelque nouvelle oppression que ce soit, et proposent l'abolition des oppressions existantes [5] comme la seule solution viable aux problèmes que ces oppressions créent. Les libéraux veulent la liberté, le plus vite possible; cela ne veut pas dire qu'ils ne savent pas accepter de compromis pratique, par lequel l'oppression ne serait que partiellement abolie; mais ils n'acceptent pas de compromission sur les buts à atteindre, ni sur les moyens — ils n'accepteront jamais de renoncer à revendiquer davantage de liberté, et ne cautionneront jamais une nouvelle mesure oppressive, même minime, même en « échange » d'une abolition. Ils savent trop bien que chaque mesure oppressive est le début d'un engrenage qui en entraînera d'autres plus grandes.
L'attitude abolitionniste des libéraux concernant l'immigration a été excellemment résumée par Ken Schoolland dans une série de discours [6]. Je renvoie le lecteur à ces textes pour l'argumentation, et je me contente de reprendre la conclusion: le contrôle de l'immigration par l'État est une mesure absurde, aussi injuste que néfaste, et doit être aboli.
2 L'immigration dans une société libre |
La liberté est une. La liberté de circuler partout où l'on veut, pourvu que l'on ne viole pas la propriété d'autrui, n'est qu'un cas particulier de la liberté de faire tout ce que l'on veut pourvu que l'on ne viole pas la propriété d'autrui. Pour un libéral, les frontières nationales de sont pas des lignes magiques, dont la traversée bouleverse le droit. Se déplacer de trente centimètres ou de dix mille kilomètres, franchir une ligne tracée ou non sur une carte officielle, cela ne fait pas une once de différence. La seule question est celle du respect de la liberté-propriété de chacun, celle du voyageur comme celle des propriétaires des terrains et moyens de transports mis en œuvre. Chaque voyageur est libre de négocier, individuellement, ou via des associations et intermédiaires de son choix, avec chaque propriétaire, lui même associé et organisé à son loisir, l'usage de moyens de transports et les licences de séjour appropriés. Les tiers n'ont rien à dire ni à redire à de telles négociations.
Ainsi, si certains propriétaires veulent interdire, bien sûr à leurs propres frais, l'accès de leur propriété à telle ou telle personne qu'ils considèrent « étrangères », c'est leur droit — c'est d'ailleurs l'essence même de leur droit de propriété que de choisir qui ils excluent de l'usage de cette propriété, et à qui ils accordent le droit de faire quoi sur cette propriété. Un propriétaire pourra considérer comme un « étranger » à exclure toute personne qui refuse de payer les droits d'entrée exigés à sa propriété (terrain, rue, route, musée, hôtel, appartement, etc.) ou qui par son apparence, son comportement, ou d'autres signes, lui inspirera la défiance quant à sa propension à respecter la propriété si le propriétaire lui accordait un droit de passage. Quels critères il emploie, c'est son affaire, sa responsabilité; s'il choisit bien, il sera heureux et prospèrera; s'il choisit mal, il en subira les tristes conséquences. Mais nul n'a le droit d'exiger, qui moins est par la force, que d'autres propriétaires acceptent ou refusent des visiteurs selon des critères que ces autres propriétaires ne choisiraient pas librement, ou n'auraient pas acceptés par un contrat préalable lui-même librement consenti.
3 L'immigration, un faux concept |
Pour un libéral, l'immigration elle-même est un faux concept, un problème posé dans les mauvais termes. Il n'y a pas à y avoir d'immigration libre ou entravée. Il y a pour chaque individu liberté d'émigrer (ou de ne pas émigrer), et liberté d'accueillir (ou de ne pas accueillir) chez soi. En d'autres termes, nous libéraux revendiquons la liberté pour chacun d'aller partout où il est le bienvenu, et ce, non pas selon des critères collectivistes, nationalistes, racistes, administratifs ou autrement politiques, mais selon les critères personnels des seuls individus concernés: les voyageurs et leurs hôtes.
[1]: Sur le mirage des « biens publics », voir la section 2 de mon essai L'État, Règne de la Magie Noire.
[2]: De Pascal Salin, voir aussi cette conférence sur l'immigration.
[3]: Voir par exemple la conclusion de cet article de Hans Hermann Hoppe, qui sinon discute de manière très pertinente du phénomène de l'immigration.
[4]: Les histoires ne manquent pas qui permettent de comparer les effets réels de la « politique d'immigration » à ses effets supposés selon la propagande officielle. Voir par exemple cet article. On aurait bien tort d'en conclure que la machine administrative « ne fonctionne pas » ou qu'elle pourrait « bien fonctionner », voire qu'il faut « intensifier les efforts » du gouvernement. En fait, elle fonctionne déjà aussi bien qu'elle peut, et remplit très bien son rôle réel, qui n'est pas son rôle officiel; c'est à dire qu'elle dépense les ressources de l'État, prélevées de force sur les contribuables, en créant des désagréments qui serviront de prétexte à plus d'intervention. Bref, elle participe du pouvoir étatique et participe à son extension tout à la fois. Du point de vue conscient ou inconscient de l'intérêt des politiciens avides de pouvoir, la machine administrative fonctionne donc parfaitement.
[5]: Concernant l'immigration, on cite souvent les actions « sociales » de l'État comme générant une immigration de parasites et d'exclus: S'ils ont des papiers en règles, ils seront payés à rien faire et à avoir des enfants tout en étant interdits de travail dès lors que leur productivité n'égale pas le coût patronal du « salaire minimum ». S'ils n'ont pas des papiers en règles, ils seront pourchassés, et exclus de tous les logements, les emplois, les soins échangés selon les règles officielles. Mais ces effets corrupteurs de l'action de l'État se fait tout autant sur les habitants installés que sur les immigrants. La chose n'est pas nouvelle telle qu'en témoignent les plaidoyers de Bastiat contre ces actions de l'État.
Si ces effets justifiaient qu'on refoule les immigrants aux frontières, ils justifieraient alors tout autant qu'on expulse les autres habitants, et (comme le remarque judicieusement Ken Schoolland), ils justifieraient tout particulièrement que soient expulsés de force ces nouveaux-venus malpropres et mal éduqués que sont les nouveaux nés. Du reste, c'est bien sur de telles prémisses que certains États imposent des mesures obligatoires de planning familial. Bien au contraire, si ces effets justifient effectivement quelque réforme législative, cette réforme devrait être l'abolition de ces politiques dites « sociales » qui sont véritablement un processus de destruction de la société. Chaque être humain, lorsqu'il vit dans un climat de liberté et de responsabilité loin d'être un poids pour la société, est un créateur capable de se prendre en charge, à travers le travail qu'il peut effectuer au service des autres. Voir notamment l'œuvre de Julian Simon, et tout particulièrement son livre The Ultimate Resource.
[6]: Les textes de ces discours, donnés en anglais aux conférences ISIL 1999, 2001 et 2002, sont disponibles sur l'Internet. Le discours de 2001 est aussi disponible dans une traduction en français.
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