Raisonnement économique
contre
sophismes comptables
Le cas de la recherche « publique »

François-René Rideau

http://fare.tunes.org/

Une version de cet essai a été publiée sur la Page Libérale (2003-04-22). Pour toute discussion, on pourra utiliser le forum adéquat.


1 Les sophismes sans aucun doute
2 La recherche « publique »
3 « Nous devons tout à l'État...
4 ...surtout nos malheurs! »
5 Sophisme comptable
6 Sophismes revisités
7 Rétablir les comptes
8 La recherche corrompue
9 « Efficacité » politique
10 « Partage » monopoliste
11 Politique contre Liberté
12 Fausse Solidarité
13 Effets qualitatifs
14 Le long terme
15 Le cas de l'informatique
16 Conclusion: combattre les sophismes


1 Les sophismes sans aucun doute

C'est à travers une liste de discussion relative à la zététique, art du doute — appliqué à démystifier pseudo-science et superstition, — que je reçois de temps à autre des messages consternants par les sophismes économiques qu'ils propagent. Le plus remarquable est que ces messages sont semble-t-il acceptés avec sérieux et gravité par les autres membres de la liste (du moins ceux qui s'expriment), cependant qu'à mes démystifications font réponse redites des sophismes, messages ad hominem, et rabâchage de propagande communiste, dans le consensus général. Ainsi, des personnes pleines d'un esprit critique qu'elles revendiquent, et dotées d'une solide formation scientifique (certes en France), en viennent donc à défendre, et jusqu'à l'irrationnel, des thèses absurdes.

L'intérêt personnel explique pour une partie ce comportement: quand les sophismes économiques servent à défendre les crédits de la recherche publique et plus généralement l'état providence, sur lesquels un scientifique vit, croit vivre ou compte vivre, il est naturel que le premier réflexe du dit scientifique soit de défendre ce qu'il pense être son bifsteck. La rationalité passe alors après l'intérêt personnel — comme quoi il est faux de croire que les scientifiques et autres « experts » soient des purs esprits objectifs, plutôt que des humains mus comme tous les autres par leur intérêt. Mais par-delà ce réflèxe, la facilité avec laquelle ces sophismes règnent, l'absence quasi totale de contradiction face à ces sophismes, sont le signe que quelque chose est déréglé au cœur même de la formation de l'opinion des scientifiques en particulier, et du public en général.

2 La recherche « publique »

Face à un appel à pétitionner pour l'allongement plutôt que le rétrécissement des crédits publics à la recherche, je m'élevai donc contre l'existence même d'une recherche publique. En effet, il faut bien voir que « public » dans ce contexte ne veut rien dire d'autre que géré par le monopole étatique de la violence, par opposition à laissé à la responsabilité des citoyens libres de s'organiser. Le mot juste est donc de parler de la gestion politique de la recherche, par opposition à la liberté de la recherche. Cette liberté implique d'ailleurs liberté de déléguer la recherche de son choix à la personne de son choix, et de ne pas participer aux recherches qui ne nous intéressent pas. Car le public bénéficie autant sinon plus de la recherche quand le financement de celle-ci est « privé », c'est-à-dire volontaire, via dons et échanges contractuels effectués au sein du public, que quand ce financement est « public », c'est-à-dire involontaire, par voie de prélèvements obligatoires au profit d'individus détenteurs de privilèges dont sont privés les citoyens.

Les conséquences de la gestion politique de la recherche, donc, sont les suivantes: de nombreuses recherches effectuées à moitié mais jamais finalisées, jamais rendues utiles au public; d'autres recherches recevant des crédits monstres sans rapport avec leur utilité; encore d'autres recherches non financées; l'allocation des fonds selon le principe du népotisme, c'est-à-dire des travaux confiés aux personnes selon leurs relations personnelles plutôt que leur mérite; l'isolation des chercheurs vis-à-vis des autres chercheurs, des industriels, du public; une démotivation générale des chercheurs; la déresponsabilisation complète du public qui n'a plus son mot à dire dans la répartition des fonds (les questions qualitatives de répartition n'étant jamais un enjeu électoral). Ce sont là les désagréments liés au monopole politique, qui peuvent se résumer en ces mots: injustice, spoliation, déresponsabilisation, inefficacité.

Les socialistes et autres étatistes ne manqueront pas de prétendre que « le secteur privé est motivé par le profit, [et qu'en conséquence] seul le secteur public est apte à prendre des décisions à long terme ». Une telle affirmation est basée sur un tel enchaînement de confusions fallacieuses qu'il faut de longues explications pour pouvoir en démonter toutes les erreurs.

Bref, les arguments pour l'intervention politique, pour la recherche comme ailleurs, sont fallacieux [4]. La seule position qui soit à la fois respectueuse des droits individuels, et conforme au souci d'avancée efficace de la science, la seule position authentiquement humaniste, est la position libérale: Que chaque individu soit libre de financer les recherches de son choix, ou d'autres activités de son choix, d'ailleurs, selon ce qu'il estimera le plus marginalement utile, en confiant directement ou indirectement son argent, son temps, ses ressources, aux personnes de son choix, qui lui paraîtront plus à même d'effectuer lesdites activités, ou de les faire effectuer. Et si d'aucun individu, face aux choix complexes dont il est question, préfère confier son argent et déléguer ses décisions à un ministre nommé par Chirac, Le Pen, Jospin, ou quelque homme ou institution de son choix, qui répartira les fonds à son gré, libre à lui! Mais qu'il ne force pas quiconque d'autre à confier de même son argent à tel homme ou institution politique, car une telle chose n'est rien d'autre que du vol.

3 « Nous devons tout à l'État...

Toutefois, le sophisme qui revient le plus fréquemment, et de loin, et qui semble convaincre parfaitement tous les intervenants, est le suivant, que nous donnons sous de multiples formes:

Croyez-vous que [tel projet ruineux, mais qui nous remplit de fierté: le Concorde, le TGV, l'homme sur la lune, etc.] qui a mobilisé ingénieurs et techniciens pendant des années, aurait vu le jour grâce au privé?

C'est grâce aux crédits militaires américains que les ordinateurs et Internet existent. Ne critiquez pas la recherche publique avec un ordinateur sur Internet!

Avant de critiquer l'État, remboursez vos études dans des écoles publiques, vos trajets sur des routes publiques, etc. Remboursez tout ce que vous lui devez!

C'est grâce à l'État que nous avons [tout ce que l'État fait pour nous]; sans l'État, nous n'aurions rien de cela. Voulez-vous donc nous priver de [tout cela] ?

Pouvez-vous, intrépide lecteur ou lectrice, voir quel est le sophisme commun à toutes ces affirmations? Êtes-vous vous capable de le démystifier? Essayez-vous y donc avant de passer à la suite de cette article...

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4 ...surtout nos malheurs! »

Avec un tel raisonnement, il faut justifier l'esclavage: sans lui, comment aurions-nous eu les routes, etc., qui ont été construites à l'époque, et grâce auxquelles notre civilisation s'est construite? Il faut justifier le national-socialisme: sans lui, comment aurions-nous les autoroutes en Allemagne? Il faut justifier l'international-socialisme: sans lui, comment la Russie aurait-elle été électrifiée? En fait tout ce qui a jamais existé est justifié par ce raisonnement, puisque ce qui existe aujourd'hui n'existe que par ce qui a été fait hier. Il faut aussi justifier les malheurs, la pauvreté, etc.: s'il n'avait pas fallu les affronter, comment les hommes auraient-ils fait les efforts qui les ont menés où ils sont aujourd'hui?

Si c'est à celui qui a versé l'argent à ses inventeurs qu'il faut attribuer le mérite d'une œuvre, alors il faut aussi attribuer à l'église catholique (et à l'inspiration du Christ) l'œuvre de Mozart, tandis que l'on félicitera Joseph Staline pour l'œuvre de Chostakovitch, compositeur officiel du régime. Sans l'église catholique, y aurait-il eu Mozart? Sans le bolchévisme, Chostakovitch aurait-il composé ce qu'il a composé? Rien n'est moins sûr.

Supposons valide l'argument selon lequel je doive rembourser mes études avant d'avoir le droit de critiquer l'éducation nationale qui m'a offert mes études gratuitement [5]. Avec le même argument, les nord-coréens, qui doivent absolument tout à l'état totalitaire où ils vivent [6], dans un pays où règne la terreur et la famine, n'ont pas le moindre droit de se plaindre de leur État, tant qu'ils n'ont pas tout rendu à cet État. Autant dire que cet argument leur retire complètement tout droit de se plaindre.

D'un autre côté, pourquoi ne regarder que les bonnes choses? On pourrait très bien regarder le mal qui suit l'intervention de l'État, et appliquer le même raisonnement! La recherche publique nous a apporté le gaz moutarde et la bombe atomique, le napalm et les mines anti-personnel, la télésurveillance, les écoutes téléphoniques, les sérums de vérité, l'abrutissement de masse. Ces projets, qui ont demandé des moyens considérables, auraient-ils été développés sans la puissance d'intervention des États? Ne sont-ce pas les États qui ont mené toutes les guerres, petites et grandes, civiles et mondiales — et tous les génocides? Quitte à avoir une vision à sens unique de l'État, pourquoi cette vision négative ne serait-elle pas plus juste?

Quand on revendique un héritage, on ne peut pas réclamer les actifs tout en refusant d'honorer les créances. S'il fallait remercier l'État pour tous les bienfaits qu'on lui attribue, ne faut-il pas aussi le blâmer pour tous les malheurs qu'il a apporté? Bref, il faut considérer et comparer avantages et inconvénients, avant de pouvoir affirmer que le bilan est globalement positif. Et parmi les avantages et inconvénients, il faut inclure tout aussi bien les coûts et bénéfices quotidiens que les réussites et échecs spectaculaires.

Il y a donc quelque chose de fallacieux à l'argument selon lequel « puisque l'État a historiquement servi a faire telle chose utile, il est utile ».

5 Sophisme comptable

En fait, l'« argument » invoqué, en fin de compte, se résume à dire « tout ce qui passé est juste ». Mais il ne permet pas de dire quoi que ce soit sur le futur. Car si on applique le même raisonnement sur le futur, on pourra dire que ce futur aura été juste, mais on ne saurait dire que sur le chemin de ce futur, les crédits de la recherche « publique » auront été étendus ou abolis.

L'erreur élémentaire de raisonnement qui se cache derrière chacun de ces sophismes, c'est d'appliquer un calcul comptable, comme justification d'une conclusion morale: on regarde ce qui a été fait, que l'on considère à juste titre comme la cause de ce qui est, en insistant sur un aspect bon (respectivement mauvais) de ce qui est, et on en déduit, par un non sequitur, que ce qui a été fait était bon (respectivement mauvais) par rapport aux alternatives proposées. Un calcul comptable est une comparaison entre un avant et un après. Un calcul comptable ne considère aucune alternative à l'action qui s'est déroulée, et ne saurait donc en aucun cas permettre d'atteindre aucune conclusion concernant la comparaison entre plusieurs telles alternatives. Pour faire un choix entre des alternatives, il faut faire un calcul économique: comparer plusieurs opportunités, plusieurs futurs possibles pour un même maintenant, selon les choix qui se présentent à un instant donné, et sachant qu'au plus un seul de ces futurs sera de l'ordre du factuel, en fonction du choix effectivement fait.

Le calcul comptable s'intéresse aux coûts comptables, i.e. aux transferts de propriété ayant lieu au cours d'une opération. Le calcul économique s'intéresse aux coûts économiques, i.e. aux différences de résultats entre plusieurs opérations envisageables mettant en œuvre les mêmes ressources données. (On appelle aussi cette différence coût d'opportunité.) Utiliser un calcul comptable à la place d'un calcul économique, c'est le sophisme comptable [7].

On peut donc effectivement constater que la recherche publique est (par définition) payée par l'État — avec l'argent du contribuable, — et il y aura donc une ligne comptable au nom de l'État derrière chaque découverte de la recherche publique. Mais cela veut-il dire pour autant que les mêmes découvertes, et plus encore, n'auraient pas eu lieu, — avec une ligne comptable différente, donc, — sans l'intervention de l'État? Voilà la question économique, à laquelle le calcul comptable est par nature incapable de répondre. Or c'est cette question et nulle autre qui est posée. Pour y répondre, il faut donc faire un calcul économique [8].

6 Sophismes revisités

Appliquons notre démarche de démystification aux sophismes comptables précédents.

Y aurait-il eu des routes en Allemagne sans le national-socialisme, de l'électricité en Russie sans l'international-socialisme, du blé en France sans la Politique Agricole Commune, et des téléphones dans le monde sans monopole d'État ni brevet? Bien sûr! Les nazis n'ont pas inventé les routes, etc. À quelle opportunité manquée s'est donc substituée la construction d'autoroutes par le gouvernement national-socialiste? Au développement sain de l'économie, qui serait passé d'abord dans les besoins les plus urgents des allemands, et aurait conduit en particulier à d'autres routes, autoroutes, rail, etc.; ces infrastructures de transport auraient été construites non seulement selon un calendrier différent, mais aussi selon un tracé plus satisfaisant; elles auraient alors été construites pour bénéficier aux civils et non pas aux militaires, joignant entre eux à peu de frais les centres industriels et commerciaux, plutôt que de joindre à grands frais les casernes aux frontières. De même, il y aurait de l'électricité en Russie sans le bolchévisme, et ce sans les millions de morts, Tchernobyl, et tous les malheurs associés. Il y aurait du blé en France sans la P.A.C., et au lieu d'avoir une surproduction de denrées subventionnées, on aurait à la place la production d'autres produits agricoles relativement moins favorisés par la P.A.C. actuelle [9].

Chostakovitch a été payé par Staline, mais il aurait tout aussi bien été payé par le Tsar, la République, une fondation privée, une maison de disques, les commanditaires trouvés par un imprésario, etc. Dans tous les pays riches, les artistes talentueux ne manquent pas de mécènes. Au pire, tel Rachmaninov, Chostakovitch aurait pu émigrer, ou autrement trouver des sponsors étrangers. Ce n'est pas Staline qui a créé d'un coup de baguette magique le talent de Chostakovitch; il s'est contenté de le corrompre, de le forcer à donner dans le « réalisme socialiste », de lui donner des cauchemars la nuit, de l'insensibiliser aux horreurs qui se déroulaient autour de lui, etc. Il est impossible de savoir ce que Chostakovitch aurait composé sans la victoire du bolchévisme, mais il est sûr qu'il aurait composé, et que sa sensibilité n'aurait été que plus grande. De même, Mozart aurait composé sous n'importe quel régime qui n'aurait pas interdit la musique, et si ce n'avait pas été pour l'église catholique, c'eût été pour quelque église ou institution que ce soit, religieuse ou laïque, publique ou privée, autrichienne ou étrangère, pourvu qu'elle patronnât les arts.

Reprenons l'argument « rembourser l'État avant de le critiquer ». Selon le calcul comptable, les nord-coréens doivent tout à leur État totalitaire, et les esclaves doivent tout à leur maître, et les français doivent toute leur éducation à leur gouvernement. Mais pour savoir si l'action de ce créditeur a été positive, il faut comparer à ce qui se serait passé s'il avait laissé ses débiteurs libres plutôt que de les couvrir de ses douteux bienfaits obligatoires. Or, le communisme d'État a ruiné la Corée du Nord a réduit ses habitants à la famine la plus abjecte, malgré l'aide internationale. Si l'international-socialisme n'avait pas détruit l'économie du pays, les nord-coréens, au lieu de mourir au choix de faim ou d'une balle dans la nuque, seraient aussi bien nourris que les sud-coréens; et sud-coréens comme nord-coréens seraient tous mieux nourris qu'ils ne le sont actuellement, car ils coopéreraient à créer des richesses plutôt que de détruire leurs richesses à se faire la guerre froide. De même, les esclaves, s'ils doivent le peu qu'ils ont à leurs maîtres, auraient été bien plus riches et heureux s'ils avaient pu être libres. Et les français qui sont éduqués par cette catastrophe sans cesse renouvelée qu'est l'éducation nationale imposée politiquement seraient bien mieux instruits s'ils étaient individuellement libres de chercher leur éducation et celle de leurs enfants là où ils pensent qu'elle est la meilleure pour eux. S'il fallait que quelqu'un rembourse quelque chose, ce serait donc plutôt aux hommes de l'État de faire amende honorable, et d'être condamnés à rembourser ce qu'ils peuvent des dommages causés, sur les richesses qu'ils ont détournées à leur profit.

Quand un étatiste accuse les libéraux de vouloir la faillite du peuple en abolissant le contrôle politique, c'est comme s'il nous accusait de ne vouloir pas que les hommes mangent, parce que nous repoussons la culture du blé par l'État. Bien au contraire, nous pensons que l'État a un rôle négatif, tel qu'évalué en terme de coût économique, de coût d'opportunité. L'État intervenant dans l'agriculture a affamé le peuple en Irlande et en Ukraine, et l'affame aujourd'hui en Corée du Nord. Nous repoussons la culture du blé par l'État précisément pour que les hommes mangent en abondance. Et nous repoussons l'intervention de l'État dans la recherche, dans l'éducation, dans la production de sécurité, précisément pour que les hommes inventent plus et mieux, soient plus et mieux instruits, vivent dans la plus grande et la meilleure sécurité.

Enfin, et pour reprendre l'argument proposé, pourquoi les hommes de l'État, avant de critiquer les dépenses privées, ne rembourseraient-ils pas tous les impôts qu'ils ont prélevé sur les contribuables, et ne dédommagerait-ils pas tous les citoyens des inconvénients que ceux-ci ont subi du fait de leur action? Selon quelle justification prétendent-ils avoir plus de droit que ceux qui les ont créées sur les richesses qu'ils confisquent?

7 Rétablir les comptes

On peut ainsi remarquer qu'un sophisme comptable s'accompagne immanquablement d'une comptabilité à sens unique[10]: l'escroc politique montre le côté face de l'intervention politique, qui appuie son discours — les dépenses soi-disant bienfaisantes de l'État — et se garde de jamais mentionner le revers de ces dépenses, qui le discréditerait — les recettes fiscales, qui saignent les contribuables. S'il mentionne ces recettes, ce sera pour tenter de les minimiser, ou de faire croire qu'elles reposent sur d'autres que les électeurs dont il tente d'obtenir le support [11].

C'est effet par de telles acrobaties comptables, et par elles seulement, que les escrocs politiques peuvent cacher le fait que les « bénéfices » de leur action qu'on voit n'existent qu'au détriment de toutes les actions empêchées, qui auraient employées les ressources confisquées ou autrement contrôlées par les politiciens. À tous les usages empêchés de ces ressources correspond donc une perte qu'on ne voit pas. C'est ainsi que le principe de toute escroquerie politique est bien le sophisme de ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas. Derrière leurs sophismes comptables, et leur comptabilité à sens unique, les escrocs politiques cachent la nature véritable de l'intervention étatique qu'ils proposent: la violence coercitive, employée à prévenir les activités que les hommes libres auraient trouvées les plus rentables pour eux [12], pour leur substituer des activités destinées à plaire aux détenteurs du pouvoir politique.

En refaisant les comptes avec cette idée en tête, on s'aperçoit alors que derrière chaque point positif de l'intervention politique, il y a deux points négatifs: d'une part le prélèvement sur la société des ressources qui correspondent au coût comptable du point positif (comme quoi même du point de vue comptable, une fois les comptes mis à plats, l'intervention politique de crée rien), et d'autre part, tous les coûts associés à la compulsion, coûts d'autant plus important à mesure que l'intervention nécessite plus de compulsion, c'est-à-dire que cette intervention est plus politique [13]. Au total, l'intervention politique va donc confisquer des ressources correspondant à la somme de ce qui est nécessaire à payer au prix fort les bénéfices visibles, augmenté de tout ce qui est nécessaire à alimenter la machine politique elle-même, ses hordes de politiciens et privilégiés et les larbins à leur service, plus les dégâts collatéraux dans la guerre que la machine fiscale et réglementaire mène aux contribuables et citoyens [14].

On peut raffiner cette comptabilité quantitative globale, par une analyse qualitative et locale. L'intervention politique détruit des richesses, la chose est aisée à voir. Mais l'intervention politique ne détruit pas uniformément: elle sert les fins des uns, ceux qui affecteront les ressources confisquées, et elle repousse les fins des autres, ceux qui paieront la facture de l'intervention politique. Elle enrichit certains, les exploiteurs, au détriment des autres, les exploités. Et c'est bien pour cela que les exploiteurs, qui y trouvent leur intérêt, cherchent à perpétuer cette exploitation, et à faire croire aux exploités que ceux-ci sont du bon côté de l'exploitation, ou qu'ils pourraient y passer s'ils coopèrent. En servant certaines fins et en en repoussant d'autres, l'intervention va aussi perturber les priorités des activités humaines: les fins des exploiteurs seront privilégiées, les plaisirs pervers de leur classe oisive seront favorisés, leur morale guerrière de parasites sera exaltée, les moyens de leur oppression seront développés. Au contraire, les fins des exploités seront méprisées, les plaisirs sains liés à l'amélioration productive de soi seront ridiculisés, la morale pacifique de l'entrepreneur sera conspuée, les moyens de la création seront délaissés.

8 La recherche corrompue

Réexaminons donc l'effet de l'intervention de l'État sur la recherche, au vu du raisonnement économique.

Reprenons d'abord le cas du TGV, du Concorde, et des autres recherches coûteuses prétendument justifiées par leur portée utilitaire directe. De deux choses l'une. Si le TGV n'est pas rentable [15], alors c'eût été une bonne chose qu'il ne fût pas développé. Et si le TGV est effectivement rentable, alors il n'y a aucune crainte à avoir que des capitaux privés se fassent concurrence pour être les premiers à développer et exploiter le TGV. D'un autre côté, les subventions massives de l'État à l'automobile, via la construction effrénée de routes, est pour beaucoup dans la non-rentabilité relative du train. Bref — si les français étaient vraiment libres de financer les moyens de transports de leur choix, le résultat serait une combinaison rentable de moyens de transports.

De même pour la conquête spatiale: il s'agit d'une cause qui a des supporters depuis la fin du xixe siècle. Il est impossible de dire à quelle date un homme aurait marché sur la lune sans l'intervention du gouvernement américain. Sans nul doute, une date postérieure à 1969; peut-être la société civile américaine, aidée de dons d'étrangers, aurait-elle volontairement versé à ce projet des sommes comparables à celles qui lui ont été soustraites de force; en ce cas, un américain ou un autre occidental aurait marché sur la lune en 1974 ou 1979 plutôt qu'en 1969[16]; et même si c'était en 1999 ou en 2019, ce retard là n'est rien, en comparaison du respect du droit des individus; et ce respect signifie aussi que les ressources confisquées pour la course à la lune auraient été utilisées à améliorer effectivement et durablement la vie des hommes sur terre. Au lieu de cela, des centaines de milliards ont été prélevés de force et dépensés pour envoyer quelques privilégiés passer des vacances dans l'espace aux frais du contribuable. En fait, sur le long terme, les agences spatiales étatiques (NASA, ESA, etc.), sont les plus grands freins à la conquête spatiale: la gestion désastreuse de leur budget, le monopole par lequel elles empêchent l'émergence d'approches différentes à la conquête spatiale, et même l'émergence de buts différents à cette conquête — tout cela contribue à dissiper inutilement les ressources que la société est prête à investir dans la recherche spatiale. Dans ces administrations comme dans les autres, le népotisme, le corporatisme, la bureaucratie, l'irresponsabilité, en viennent à réduire à néant les plus beaux rêves de l'humanité.

On invoquera vainement les « externalités positives » de la conquête spatiale étatique: toutes les découvertes qui sont des sous-produits de la recherche, les applications industrielles de procédés initialement militaires ou ludiques, etc. Car le calcul économique nous rappelle que les activités empêchées par l'État n'auraient pas moins eu d'externalités positives, de sous-produits utiles, et d'applications diverses, en plus de leurs effets bénéfiques directs. Il se peut, et il est même certain que ces effets bénéfiques secondaires auraient été différents de ceux de la conquête spatiale étatique — même si cette différence est en fin de compte principalement une différence de détails et de calendrier. Mais il n'y a aucune raison d'affirmer que ces effets bénéfiques auraient quoique ce soit à envier à ceux de l'intervention étatique. En fait, la prospérité croissant plus vite en l'absence d'intervention politique, il faudrait s'attendre à davantage d'effets bénéfiques secondaires grâce au progrès de la civilisation.

En conclusion, rappelons donc que la recherche publique se fait toujours au détriment d'autres dépenses. Et ces autres dépenses, par définition, auraient fait plus de bien, de l'avis même des personnes qu'il a fallu forcer à contribuer contre leur gré à l'intervention politique. L'intervention politique, loin d'être utile à la recherche, lui est profondément nuisible. En matière de recherche comme ailleurs, le meilleur service public, ce sont les services privés, ou plus exactement, les services libres échangés sur des bases volontaires, par opposition aux services obligatoires imposés par la coercition de l'intervention politique.

9 « Efficacité » politique

Lors de la discussion sus-mentionnée, un étatiste est allé au secours du monopole étatique de la recherche, avec moult arguments aussi faux que communs, et donc bons à analyser.

Voici l'un de ses arguments, donné sur un ton ironique: « Pourquoi payer deux labos à faire les mêmes études en même temps, plutôt que de les faire travailler ensemble et aller deux fois plus vite? » La réponse est pourtant facile. Pourquoi exiger qu'ils travaillent ensemble, si ce n'est pas l'arrangement auquel ils viennent naturellement et volontairement? Il n'est jamais bon de mettre tous ses œufs dans le même panier, et cela est particulièrement vrai en matière de recherche, où par définition on ne sait jamais à l'avance quelle approche mènera à des solutions, d'où la boutade célèbre « des gens qui cherchent on en trouve, mais des gens des trouvent on en cherche » [17]. Si, dans un monde libre, des personnes décident de financer des recherches sur un même sujet selon des voies différentes, c'est qu'elles pensent chacune que leur voie est marginalement la plus prometteuse. Pourquoi alors faudrait-il les obliger à ne financer qu'un seul laboratoire? Le monopole public de la recherche implique la sclérose des méthodes. Quand le monopole est total, les bureaucrates qui grimpent les hiérarchies du pouvoir, tels Lyssenko, peuvent imposer leur « vérité scientifique officielle »; alors toute recherche sérieuse est paralysée, et les efforts de recherche déployés sont massivement dirigés vers des voies de garage, à l'exception des ressources attribuées à de rares chercheurs intègres et courageux arriveront à les détourner des voies officielles [18]. Même quand le monopole de la recherche n'est que partiel, même quand l'intervention politique est limitée, alors le népotisme et le mandarinat, c'est-à-dire les structures qui émergent de la culture du Pouvoir politique, vont conduire à ce que, de cooptation d'un copain en nomination d'un ancien étudiant, de subvention à un ami en promotion d'un proche, les filières de recherche se peuplent de personnes ayant les mêmes méthodes, les mêmes paradigmes, les mêmes façons de penser, les mêmes préjugés, les mêmes intérêts corporatistes [19]. C'est ainsi que la psycho-diversité scientifique se restreint et disparaît à mesure l'intervention politique est plus importante et plus durable.

Il est intéressant de remarquer que cette prétention de gain de vitesse par la concentration n'est qu'une redite des thèses communistes selon lesquelles la collectivisation est bénéfique par ses gains d'échelle, par sa mise en commun des coûts fixes. Mais dans le cas de la recherche comme ailleurs, ce n'est qu'une illusion matérialiste, qui néglige complètement les coûts d'information [20]. Car les décisions à prendre ne sont pas écrites, ne sont pas déterminables selon des critères objectifs. Les coûts pour obtenir une majorité informée sur une quelconque question sont très élevés, sans parler des coûts d'un consensus; les coûts d'une erreur de direction étendue par le monopole à un pays entier sont non moins élevés — et en l'absence de concurrence pour comparer, la direction du monopole est sans boussole, et va inéluctablement dans l'erreur. Aussi, dans le détail, le monopole ne peut pas prétendre agir ni en vertu d'une quelconque « volonté populaire », ni en vertu d'un quelconque « choix informé », ou d'une quelconque « vérité empirique ». Il n'y a qu'une tyrannie des hommes politiques, bureaucrates et groupes de pression sur le public victime du monopole. Et ces tyrans, incapables du fait du monopole de discerner comment satisfaire les intérêts du public, voient parfaitement où est leur intérêt personnel, celui de leurs courtisans, amis, familiers, etc. [21]. C'est ainsi que le monopole promeut bien une efficacité: celle des tyrans capables d'accaparer le plus de pouvoir, à coup d'intrigues, de démagogie, de brutalité, d'absence de scrupules, d'auto-complaisance et d'auto-suffisance bienpensante.

10 « Partage » monopoliste

Un autre argument du monopoleur était le partage des résultats: selon lui, la recherche publique permettait de partager les résultats entre tous, tandis que la recherche privée mènerait à un partitionnement des savoirs. Comme souvent, cet argument est le résultat de nombreuses confusions, qu'il faudra démêler, avant de pouvoir le vaincre.

Commençons par le cas d'un monopole public complet de la recherche, tel que souhaité par cet étatiste. Est-ce que dans un tel monopole, les savoirs seraient vraiment partagés? Une telle affirmation relève de la mystique de l'état: on vénère la recherche « publique », c'est-à-dire aux mains des hommes politiques, parce que ces hommes politiques se disent agir au nom du peuple, de Dieu, ou de quelque justification officielle dogmatiquement acceptée comme juste [22]. Or, avec le monopole de la recherche, par définition du monopole, les monopoleurs sont les seuls à avoir le droit d'utiliser ces connaissances pour davantage de recherche. Ceux qui voudraient s'essayer à utiliser ces connaissances en dehors du monopole n'auront pas de crédits publics, mais à la place auront des problèmes administratifs et judiciaires sans fin s'ils essaient de trouver des crédits privés autour de telles recherches; ils sont condamnés à ne pouvoir le faire qu'à titre personnel, en s'autofinançant par un travail de jour, et être relégués à travailler en amateur sur des projets qui nécessitent très peu de capital. En fait, « le peuple » est bien plus sûrement exclus en pratique de ces recherches que dans un monopole privé.

Le principe du mal est dans le monopole. Il est illusoire de chercher une solution à ce mal dans le monopole d'état, qui est la concentration et l'exacerbation de ce monopole. Telle est pourtant le principe du social-étatisme: les étatistes prennent le monopole pour acquis, pour en déduire que ce monopole doit être le plus concentré possible. Au contraire, non seulement le monopole n'est pas acquis, mais quitte à ce qu'il y ait des monopoles, il vaut mieux que chacun d'entre eux soit le plus faible possible, plutôt que capable à lui seul d'imposer sa volonté à tous et sur tout. Mieux vaut encore que ces monopoles soient dénonçables et passibles d'annulation, plutôt que garantis par des lois votées par les bénéficiaires mêmes du monopole.

Réfutons maintenant l'affirmation selon laquelle la recherche privée serait basée sur l'exclusion du public quant aux savoirs. Il est clair que la liberté de faire des recherches sur les sujets que l'on veut, et la liberté de partager ses connaissances avec les collègues de son choix n'impliquent aucune exclusion [23]. Au contraire, une exclusion n'existe qu'en tant même que ces libertés sont violées par divers impôts, réglementations, prohibitions, subventions, qui favorisent les uns, et prohibent, contraignent ou punissent les autres. Or, il est vrai que ces libertés sont violées aujourd'hui, et au profit de compagnies privées, auxquelles l'état accorde des privilèges sous le nom de « propriété intellectuelle »: dotées d'un brevet, d'un copyright, d'un secret, d'une marque, des compagnies, publiques ou privées, pourront se prévaloir de la force publique pour s'en prendre à des concurrents qui utiliseraient les mêmes connaissances et informations qu'elles. Ces « droits » de « propriété intellectuelle » sont une forme de protectionnisme informationnel, par lequel les gouvernements offrent des privilèges à des industriels et éditeurs (en fait, à leurs services juridiques), par l'exclusion légale de leurs concurrents [24].

Ces monopoles légaux sont actuellement le plus grand frein à la libre diffusion des savoirs. « Mais, » dirons bien joyeux les étatistes, « la propriété intellectuelle, ça profite bien à des firmes privées, non? Ce sont des lobbies privés qui le demandent aux politiciens! » Là encore, les étatistes n'ont pas compris que le principe du racket est dans la politique, et que la question pertinente n'est pas la distinction comptable entre « public » et « privé », mais la distinction économique entre politique et liberté.

11 Politique contre Liberté

La distinction entre « public » et « privé » est une distinction comptable: cette distinction correspond à la question « à telle ligne comptable correspond-il la signature d'un fonctionnaire ou d'un civil? » I.e. y a-t-il un ruban bleu ou un tampon officiel qui a cautionné telle transaction? Cette distinction n'a aucune pertinence du point de vue de l'économie. La distinction pertinente est la distinction « politique » vs « libre »: les acteurs d'une transaction étaient-ils tous volontaires, ou la volonté des uns a-t-elle été imposée aux autres? Si tous étaient volontaires, alors la transaction est libre. Si d'aucuns ont imposé leur volonté aux autres, alors ceux-ci ont usé de leur pouvoir politique.

Ceux qui vivent directement ou indirectement de privilèges légaux, de la violence étatique, n'ont pas besoin d'avoir un papier tamponné « fonctionnaire » pour être des parasites politiques. Les seigneurs féodaux, les bandits de grand chemin, ne font pas semblant de servir le public et ne font pas valoir un quelconque blanc-seing officiel quand ils exécutent leurs rapines politiques. Il existe donc des entreprises privées, des associations, des syndicats, des entrepreneurs, des salariés, et même des chômeurs, qui vivent du parasitisme politique.

Réciproquement, tous les fonctionnaires ne sont pas des parasites politiques. La plupart des fonctionnaires et des employés de compagnies privées à privilège, sont victimes plus que les autres des monopoles légaux: non seulement ils en souffrent comme consommateurs, mais le monopole les empêche de trouver ailleurs un emploi correspondant aux compétences qu'ils possèdent relativement à l'activité « protégée » par un privilège légal. Même la plupart des chômeurs, qui sont maintenus dans leur situation précaire par une législation qui détruit les emplois, les logements, la nourriture, sont du point de vue économique des victimes du système, bien que du point de vue comptable ils doivent tout aux aides publiques.

La question est de savoir si oui ou non des parasites doivent leurs revenus à l'usage de la violence politique — revenus qui alors correspondent à un appauvrissement du reste de la population à leur bénéfice [25]. Les détenteurs de brevets sont des exploiteurs politiques, tout autant que les propriétaires d'homologations et autorisations décernées par les différentes institutions « régulatrices », de contrats d'exploitation de monopole public, etc. Les politiciens, hauts-fonctionnaires, syndicalistes, chefs d'entreprises publiques, détenteurs de contrats publics, présidents d'associations subventionnées, etc., sont tous des exploiteurs [26]. Tous doivent le gonflement de leurs revenus, de leur liberté, à la coercition légale, à l'oppression des citoyens, consommateurs, contribuables, qui sont forcés de se plier bon gré mal gré aux desiderata de ces privilégiés.

Pour déterminer si une personne est intrinsèquement un exploiteur ou un exploité, il faut se poser la question: est-ce que cette personne serait payée, volontairement, une valeur équivalente ou supérieure, par des personnes consentantes auxquelles elle rendrait librement le même genre de services? Si la réponse est « non », alors la personne est un exploiteur politique. Si la réponse est « oui », alors la personne est un exploité. Ainsi, sans monopole de l'État sur l'agriculture, les fonctionnaires des sovkhoses nord-coréens seraient aussi pour la plupart agriculteurs, et gagneraient mieux leur vie; en Corée du Nord, où tout le monde est fonctionnaire, l'immense majorité est néanmoins composée des esclaves du parti communiste. Sans monopole de l'État sur la recherche, les nombreux chercheurs des centres de recherche publics qui ne sont pas des escrocs seraient aussi pour la plupart chercheurs, et pourraient mieux accomplir leur vocation, tout en étant mieux payés.

Bien sûr, pour se perpétuer, l'exploitation politique va user à fond du sophisme comptable pour persuader les victimes qu'elles sont bénéficiaires du système. Ainsi, les victimes elles-mêmes participeront de l'oppression, et empêcheront l'abolition des privilèges dont elles souffrent. Les politiciens vont donc s'efforcer de généraliser l'État providence, par lequel chacun doit une partie croissante de ses revenus à l'État, dépend de plus en plus d'allocations, subventions, passe-droits, privilèges, déductions, etc., versés par l'État; sans parler des salaires des fonctionnaires, des contrats publics, et du fait que chacun aura dans sa famille, parmi ses amis ou ses proches des fonctionnaires, des assistés, et autres personnes dépendant des caisses de l'État. L'État prélève donc (inégalement) sur les citoyens une part croissante de leurs revenus, pour en redistribuer (inégalement) une partie à tous, s'ils satisfont aux exigences de l'État. Or, prendre tout — par la force — et rendre une fraction — à ceux qui obéissent, — ce n'est pas donner, — c'est réduire à l'esclavage. De même, prendre une partie — par la force, — et rendre une fraction — à ceux qui obéissent, — ce n'est pas donner, — c'est réduire à l'esclavage à temps partiel. Ainsi, l'intervention politique n'est rien d'autre que la forme moderne de la réduction à l'esclavage. Ou plus exactement, la réduction à l'esclavage n'est qu'une forme antique et grossière de l'exploitation politique, et l'esclavage à temps partiel par l'État-Providence social-démocrate en est une forme moderne et sophistiquée.

12 Fausse Solidarité

Les étatistes, et parmi eux surtout les socialistes, en appellent souvent aux sentiments, pour justifier la main-mise des politiciens sur la recherche. Selon eux, la recherche sur le SIDA, le cancer, telle maladie rare, etc., seraient des actes de « solidarité » impossibles sans l'État [27]. Là encore sévit de façon sous-jacente le sophisme comptable. Car la question pertinente, la question économique, est de savoir si « grâce » à l'intervention politique, il y a plus ou moins de solidarité, et si la solidarité est plus pure ou plus corrompue avec ou sans intervention politique.

Les manœuvres médiatiques sur la « nécessité » et les « bienfaits » de telle ou telle recherche publique sont des leurres: pourquoi faudrait-il se réjouir de ce que l'on emploie tant de millions dans la recherche sur telle maladie médiatisée (le SIDA, telle maladie rare touchant des enfants), quand ces millions en sont autant qui ne seront pas consacrés à d'autres recherches non moins « nécessaires » et plus « bienfaisantes » encore? La recherche sur le SIDA ne mérite aucun traitement de faveur; lorsqu'il y a de nombreuses maladies plus meurtrières dans le monde, et moins chères à combattre, comme la malaria. À chacun d'établir ses priorités pour sa propre action marginale. Si la recherche médicale était financée par le système des dons, des assurances santé, etc., elle concernerait dans de justes proportions les maladies qui sont vraiment importantes selon ceux qui s'en soucient.

En France, les financements privés (sans parler des contributions en nature) sont 46% des moyens des associations. Si les français, sans être spoliés de 60% (en moyenne) de leurs revenus par l'État, donnaient la même proportion de leurs revenus aux associations, celles-ci seraient mieux dotées. Or d'expérience, dans les pays plus libres, où les impôts sont moindres, les individus donnent une part en moyenne plus grande de leurs revenus aux causes caritatives. La chose s'explique aisément: d'une part les individus libres se sentent davantage responsables que ceux dont les responsabilités sont confisquées et assumées par l'État, et d'autre part, les individus rendus prospères par la liberté peuvent plus facilement donner, et en même tant ressentent plus durement le contraste des malheurs des autres. Enfin, parmi les associations, les vraies associations libres, qui ont vraiment le soutien de la population, seraient mieux dotées, car toutes les pseudo « associations » de parasites qui sont autant de moyens de privatiser les fruits de la spoliation politique via des subventions diverses, elles, disparaîtraient.

Certains étatistes, démocrates, se targuent du soutien populaire à leur politique. À ceux-ci on répondra que si vraiment le peuple veut financer telles ou telles recherches à telle hauteur, il n'est rien de plus simple que de le laisser faire librement, et que toute intervention politique est une négation de cette volonté. D'autres étatistes au contraire, anti-démocrates, prétendent que « les gens » ne sont pas assez bons, mûrs, responsables, solidaires, altruistes, etc., pour s'occuper de telles choses, et qu'il faut qu'une élite politique prenne en charge cette solidarité. À ceux-là on demandera qu'ils exhibent et justifient les titres de noblesse par lesquels ils se placent eux-mêmes au-dessus de la masse qu'ils prétendent régenter [28]. Tous supposent que l'État fait magiquement apparaître un élan de solidarité, de justice, de créativité, etc., qui n'a pas sa source dans la société, mais qui descend de l'onction sacrée du Pouvoir sur les masses passives. Or, si cet élan de solidarité, de justice, de créativité, etc., existe déjà dans les hommes, alors il s'exprimera tout autant sans l'intervention politique. Et s'il n'y existe pas, alors d'où un gouvernement fait d'hommes, gouvernant au nom des hommes, le ferait-il jaillir?

Il ne s'agit pas de faire ou ne pas faire confiance à un concept abstrait « les gens », qui seraient bons ou mauvais, mûrs ou immatures, etc. Il s'agit de savoir si les hommes politiques sont meilleurs que les autres, si le système politique de coercition des faibles par les forts fait ressortir le bien ou le mal. Il s'agit de déterminer quelles règles sociales valent mieux: Celles basées sur la liberté et la responsabilité individuelles (i.e. sur le principe de propriété et une justice restitutive), ou celles basées sur la coercition et l'irresponsabilité généralisées (i.e. sur le principe du pouvoir politique et une justice pénale).

Or, l'émergence des choix collectifs [29] en présence de règles de coercition politique a été brillamment étudiée par par James Buchanan et Gordon Tullock dans leur Théorie des Choix Publics, où ils se sont intéressé tout spécialement au cas de la démocratie (ce qui a valu à Buchanan le prix Nobel d'Économie). Et c'est par des calculs économiques élémentaires que l'on peut démontrer que sous couvert de « solidarité », ce sont les groupes de pression qui s'enrichissent aux dépens du contribuable, dans un jeu de dupe, où à chaque fois de nouvelles mesures sont votées qui ont des bienfaits limités mais concentrés sur un groupe restreint au pouvoir de décision politique marginalement élevé à un instant donné, en causant une nuisance immense mais diluée sur le plus grand nombre et étalée dans le temps.

13 Effets qualitatifs

Les effets du monopole, de la coercition, de l'intervention politique, ne sont pas seulement quantitatifs. Ils sont d'abord qualitatifs. Quand la liberté des uns est niée, et la responsabilité des autres rejetée, les conséquences ne sont pas seulement des transferts des exploités vers les exploiteurs, mais une transformation de toutes les activités, avec l'apparition de concepts propres à l'intervention politique, et même d'une « morale » politique.

Le système de recherche « publique » est basé sur l'irresponsabilité des chercheurs vis-à-vis de l'utilité de leur recherche, telle que comprise par ceux qui seraient prêts à les financer volontairement. Les chercheurs sont non seulement déconnectés du reste de la société civile, ils sont aussi soumis à une bureaucratie dirigée par des mandarins, et contraints par une réglementation extrêmement lourde de ne pas pouvoir utiliser leurs moyens à des applications pratiques, et de pouvoir difficilement coopérer avec ceux qui ont le droit et les moyens. Ils se consacreront donc à certaines recherches plutôt que d'autres: des recherches qui n'ont pas d'applications et ne génèrent donc pas de complexité administrative; des recherches spécifiquement destinées à plaire aux décideurs politiques; des recherches qui plaisent à leurs auteurs eux-mêmes, ou à des groupes d'« experts » entre eux, mais qui n'ont sinon aucun public. Dans le climat de cassure entre les chercheurs « publics » privilégiés et le public des utilisateurs « privés », les recherches potentiellement utiles elles-mêmes sont sacrifiées, parce que le dialogue entre deux mondes déconnectés est difficile; parce que les compétences applicatives des chercheurs publics et les compétences théoriques des développeurs privés sont émoussées; parce que les barrières administratives et légales, et notamment toute la « propriété intellectuelle », empêchent les transferts de savoir et favorisent les stratégies de cloisonnement.

Dans une société de liberté, il y a une continuité dans les savoirs, et toute entreprise humaine n'est autre qu'une recherche des moyens d'améliorer les conditions de vie: améliorer les moyens de la production et de la consommation, non pas pris au seul sens matériel, mais au sens spirituel, personnel et subjectif de tout ce qui permet d'être mieux. L'intervention politique dans la recherche, elle, introduit une dichotomie des savoirs, entre les recherches subventionnées, et celles qui ne le sont pas (voire qui sont interdites). Les unes seront l'affaire du monopole, délaissées par le « secteur privé » face à la concurrence déloyale du « secteur public »; ou devenues chasses gardées de compagnies détentrices de privilèges de « propriété intellectuelle ». Les autres seront l'affaire de la libre activité des citoyens, tant qu'ils éviteront les barrières des domaines réservés des monopoles légaux publics ou privés. Ainsi, de même que la comptabilité politique introduit une distinction fiscale entre dépenses « publiques » et « privées », le contrôle politique de la recherche introduit donc une barrière réglementaire entre savoirs « publics » du monopole d'État, et savoirs « privés » des citoyens [30].

Le contenu de la recherche, et plus généralement l'objet des activités humaines, est donc grandement affecté par l'intervention politique. Mais cette perturbation n'est pas seulement de l'ordre d'une inefficacité introduite dans les rapports naturels entre les hommes, des barrières élevées contre de leur communication et de leur coopération, etc. Elle est aussi, et de manière beaucoup plus perverse, de l'ordre de biais systématiques dans le sens d'une efficacité pour suivre une nouvelle sorte de buts: les buts politiques. Le contrôle politique de la recherche a efficacement mené au développement d'armes de destruction massive, de moyens de contrôle des populations et des individus, de moyens de divertissement et de propagande, de techniques d'embrigadement et d'accoutumance aux sophismes politiques, de théories servant à justifier l'intervention politique, etc. Sous le contrôle de la politique, la recherche, comme toutes les activités humaines, sera détournée au service de l'anti-morale politique de parasitisme et de guerre, plutôt que de servir la morale économique de coopération et de création.

14 Le long terme

Notre étatiste affirmait que dans la grande entreprise privée où il travaillait, il n'avait rien vu que d'activités à très court terme. Voilà une affirmation comptable dont je suis prêt à concéder la véracité. Cependant, le même se servait de cette affirmation pour promouvoir la recherche publique. Voilà le sophisme comptable, qui prétend arriver à une conclusion économique à partir de données comptables. Est-ce donc que dans un monde libre, les individus ne s'organisent librement que sur du court terme? Pas du tout.

Tout d'abord, il est heureux que la plupart des individus soient plus concernés par le court terme que par le long terme. Le long terme hypothétique vaut assurément moins que le présent certain — selon la formulation de la sagesse populaire, « un "tiens" vaut mieux que deux "tu l'auras" ». Le long terme n'existera d'ailleurs même pas si une catastrophe survient qui détruit la civilisation à court terme. En fait, plus les temps sont reculés, et plus, à juste titre, ces temps nous indiffèrent. Ensuite, les événements à long terme étant conséquences de tous les événements ayant lieu entre temps, leur étude devient de plus en plus complexe au fur et à mesure que leur terme s'éloigne. Comprendre les implications à long terme de nos choix exige un grand investissement en capital, surtout humain, pour un gain marginal qui va diminuant. N'est pas donnée à tout le monde la capacité de se projeter utilement sur le long terme; c'est une activité qui comme toute autre activité nécessite des affinités particulières et une spécialisation propre. Il est donc heureux que le premier venu ne s'essaie pas à faire avancer ses opinions d'ignorant sur la question, qui plus est par la coercition politique. Que les organisations humaines se soucient plus du court terme que du long terme, voilà qui est sain. Cela ne veut pas dire que nul ne se soucie du long terme. Cela veut dire que l'activité de penser au long terme est une activité spécialisée, et qu'il est normal et sain qu'il y ait des organisations consacrées essentiellement à cette activité de long terme (centres de recherche, fonds d'investissement, etc.) tandis que la plupart s'y consacrent très peu voire pas du tout.

Ensuite, quand le gouvernement monopolise les crédits et les talents destinés à la recherche sur le long terme, la conséquence nécessaire en est que ces mêmes crédits et talents font défaut ailleurs. C'est ainsi que toute recherche « publique » a pour coût d'opportunité et les moyens matériels et intellectuels d'une recherche privée, et l'organisation libre et responsable de cette même recherche. Nous avons vu dans les sections précédentes que cela menait à une sclérose des méthodes, à une sujétion des scientifiques, à un détournement des objectifs mêmes de la recherche.

Enfin, le principal frein à l'investissement à long terme (qu'il s'agisse de recherche ou non), c'est précisément la violation par la législation de la propriété privée, et le risque légal de violations futures. Quand les investissements sont lourdements taxés, quand l'usage des bénéfices est sévèrement réglementé, quand de nouvelles lois sont régulièrement votées dans une optique socialiste, quand les entreprises à succès sont nationalisées ou subissent une pression fiscale réglementaire et judiciaire accrue, tandis que celles qui ont des difficultés à court terme reçoivent moult « aides » et dérogations, il y a désincitation à l'investissement à long terme. Le pire est que le risque légal n'est pas assurable: il n'est pas possible de se prémunir contre les lois futures, de prévoir l'étendue de la spoliation future, ni de mutualiser les pertes. Le seul moyen pour une entreprise de limiter la spoliation politique, est de faire soi-même du lobbying auprès des hommes politiques: accepter de dépenser des sommes d'argent pour leur faire la cour, de façon à ne pas être pris de court par leurs futures décisions. Bref, entrer dans le jeu du racket politique, et participer à la curée, pour n'en pas être la victime la plus complète, et tenter de devenir spoliateur autant et davantage que spolié.

Pour que des individus puissent prendre des décisions sur le long terme, il faut que la liberté et la responsabilité des ressources engagées soient préservées sur ce même long terme; il faut que la propriété individuelle de ces ressources soit assurée aux personnes qui les possèdent et à celles à qui elles choisiront de les transmettre (descendants, fondations, etc.). La solution des problèmes sur le long terme, c'est le respect des droits de propriété à long terme, y compris le droit de tester (i.e. de léguer en héritage aux personnes de son choix l'intégralité de son bien, sans que l'État n'en confisque une partie).

15 Le cas de l'informatique

Le sophisme comptable est utilisé pour attribuer aux crédits militaires américains et à l'État en général l'invention et le développement de l'informatique, de l'Internet, etc. Or, il se trouve que l'invention de l'ordinateur est bien antérieure au moindre crédit militaire — d'ailleurs, comment l'armée aurait-elle pu décréter des crédits pour financer un genre d'invention dont l'idée n'aurait pas encore existé? L'informatique a-t-elle surgi toute armée du crâne endolori d'un adjudant entre deux aboiements d'ordres à ses recrues? Charles Babbage avait lancé l'idée dès le xixe siècle, et dans les années 1930, de très nombreuses équipes, sans le moindre crédit militaire, se sont attaqué aux principes fondateurs de l'informatique, aussi bien en théorie (Gödel, Turing, Church, Curry, etc.), qu'en pratique (Vannevar Bush au MIT, Atanasoff et Berry à l'Université d'Iowa, Konrad Zuse en Allemagne, etc.). Bref, les premiers ordinateurs existaient et l'informatique avait le vent en poupe bien avant que les militaires n'en aient jamais entendu parler. Et les compagnies d'informatique n'ont jamais manqué d'applications civiles rentables: statistiques, comptabilité, ingénierie, recherche scientifique, etc.

Donc, si les mêmes milliards n'avaient pas été dépensés par les militaires, il y aurait aussi eu des ordinateurs. Les étatistes auront beau prétendre que les achats militaires ont fait baisser les coûts de production en augmentant les volumes, ils auront aussi fait monter le prix de vente en gonflant la demande; bref, ils auront gonflés les revenus de leurs fournisseurs sans avoir pour autant favorisé les usages civils des ordinateurs. Au contraire, de par la nature même de toute dépense étatique, l'intervention de l'état en matière d'informatique militaire s'est fait par un déplacement de ressources au détriment d'activités civiles pacifiques et créatrices. Au final, on aura calculé des trajectoires d'obus et des codes secrets, mais on aura freiné le progrès de toutes les autres activités, — agriculture, industrie, médecine, éducation, etc., toutes les activités pacifiques et créatrices, y compris l'informatique civile, — à mesure même des ressources qu'il aura fallu mobiliser pour financer cette informatique militaire. Tel est le coût d'opportunité de la recherche militaire d'état. Cette recherche a-t-elle été utile? Peut-être. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas laisser les citoyens qui en sont convaincus les financer eux-mêmes, volontairement? Majorité ou minorité, ils ont le droit de le faire, mais pas celui de forcer les autres à le faire.

Au bilan, le calendrier des découvertes aurait certainement été différent sans l'intervention de l'État: certaines ayant lieu plus tard, d'autres plus tôt. Avec le financement militaire, les applications militaires ont été relativement avancées (est-ce une bonne chose?), tandis que les applications civiles ont été relativement retardées (i.e. tout ce qui fait que l'informatique est utile à nous autres civils plutôt qu'aux assassins aux ordres des hommes politiques). Mais même si l'informatique avait pris trois ans de retard sans l'intervention politique, après tout pourquoi pas? Il faut voir que ce « retard », par hypothèse, correspondrait à un bien être généralisé accru dans la population mondiale.

Enfin, il n'y a pas qu'un seul chemin en informatique. Sans l'intervention de l'État, les découvertes auraient été autres. Au lieu des dinosaures informatiques hérités des financements gouvernementaux directs, il y aurait des systèmes plus petits et versatiles; au lieu d'un mouvement régressif de la technologie dans le public, « reçue d'en haut en moins bien », il y aurait un mouvement progressif « croissant d'en bas de mieux en mieux »; au lieu des systèmes cloisonnés prévus pour faire respecter les barrières de propriété intellectuelle, il y aurait des systèmes ouverts, prévus pour un travail coopératif efficace et intégré. Bref, l'intervention de l'état est mauvaise non seulement du point de vue quantitatif, mais aussi et surtout du point de vue qualitatif. L'argent ne fait pas le bonheur; il ne fait pas la bonne informatique non plus. L'argent est un outil, et la façon de le dépenser est essentielle pour obtenir un bon effet. L'intervention directe et indirecte du gouvernement en matière d'informatique, via la recherche publique et la propriété intellectuelle, a pu multiplier considérablement les fonds dépensés, tout en ayant un effet désastreux sur la qualité des logiciels et matériels produits: davantage de travail pour de moindres résultats. Tel a toujours été le principe de l'intervention politique en économie [31].

16 Conclusion: combattre les sophismes

En France, où l'État règne sur l'éducation nationale et l'université, le raisonnement économique est systématiquement censuré. L'immense majorité des « économistes » sanctionnés par l'État sont des économétristes qui ne connaissent que le raisonnement comptable. Les marxistes et les keynésiens parmi eux contrôlent les programmes scolaires, les concours de recrutement, les filières de promotion, les réseaux d'« experts », les médias, etc. Aussi, il n'est pas surprenant que même des gens cultivés et doués d'esprit critique aient le réflèxe d'employer le raisonnement comptable, aussi fallacieux soit-il.

En fait, plus ils auront été « éduqués » longtemps par la machine d'embrigadement totalitaire qu'est l'éducation nationale, plus ils seront diplômés et haut placés dans l'appareil de distribution des privilèges étatiques, et plus ils soutiendront les sophismes sur lesquels sont fondés toute la pensée unique socialiste et étatiste [32]. C'est ainsi que l'appareil de l'état s'assure le soutien de toutes les « autorités » intellectuelles et morales.

Face à l'adversité de toutes les forces politiques coalisées, il est cependant un allié qui restera fidèle aux libéraux, et sur lequel ils peuvent s'appuyer en toute confiance: le bon sens inné de chaque individu quand ses intérêts sont en jeu. Car le monde réel n'a que faire des sophismes des étatistes, et en fin de compte, c'est de ses calculs économiques, et non pas de ses calculs comptables, que dépend l'intérêt et le bonheur de chacun.


Notes

[1]: Remarquez comme les socialistes rejettent le mot « transaction » en vociférant que « l'éducation n'est pas une marchandise » — ce qui n'est rien d'autre qu'une subtile diversion pour arrêter toute réflexion à propos de la transaction qui a effectivement lieu, et pour tromper ainsi les masses.

[2]: Sur les principes fondateurs de l'entreprise, voir de Bastiat, Des Salaires, et de Pascal Salin, The Firm In A Free Society.

[3]: Toutefois, la monarchie a des problèmes qui lui sont propres: d'abord, si elle travaille sur long terme, c'est au profit de la dynastie régnante, qui n'a pas de raison a priori de coïncider dans les détails avec le profit des sujets ou de quiconque d'autre — même si des sujets prospères et heureux peuvent être taxés davantage et plus facilement que des sujets miséreux et en colère. Ensuite, la monarchie crée un single point-of-failure en la personne du monarque, sur lequel se concentre tout le lobbying politique, toute l'ivresse du pouvoir, tout le poids des responsabilités, toute la demande de compétence, etc. Quand le monarque cède aux courtisans, à la folie des grandeurs, à la pesanteur ou à la difficulté de la tâche, ce sont tous les sujets qui pâtissent. Enfin, la monarchie pose de graves problèmes de succession: des problèmes génétiques pour les successions héréditaires (l'endogamie des familles régnantes a eu des résultats désastreux, — dégénérescence, hémophilie, etc.), problème de formation d'un successeur quel qu'il soit, problème quand le roi ou son successeur formé au métier de roi meurt sans qu'un remplaçant ait été proprement formé (voir la fin des Antonins à Rome), etc.

Remarquons que nombreux parmi ces problèmes de la monarchie sont des problèmes inhérents à tout pouvoir politique: toute personne qui détient un pouvoir de contrainte sur les autres sera dans la position du monarque quant à ce pouvoir. Et plus son pouvoir sera étendu, plus ces problèmes prendront une importance dramatique.

[4]: Voir en anglais mon article Public Goods Fallacies.

[5]: Il s'agit ici de gratuité marginale. Il est clair que quelqu'un paye — et que globalement il y a transfert de ceux qui n'ont pas fait d'études vers moi. Mais il est aussi clair que cela me ferme d'autres voies: si une voie m'est facilitée, il est nécessaire que d'autres voies me soient relativement fermées. Et étant donné le caractère limité des ressources à un instant donné, il est clair que des voies sont absolument fermées à moi ou à d'autres pour que cette éducation me soit offerte. Enfin, il est a priori peu clair si j'ai gagné au change ou pas. D'une part, je repaierai peut-être plus d'impôts par la suite que je n'aurais payé de mensualités d'emprunts pour une formation équivalente. D'autre part, les voies qui me sont fermées par l'intervention étatique auraient pu m'apporter des satisfactions supérieures encore. Bref, la « gratuité » ici n'a qu'un sens très limité, un peu comme les bonus « gratuits » quand on achète une voiture en promotion — sauf que je n'ai pas eu le choix de ne pas être client de l'État, juste celui d'accepter ou de refuser (et encore, seulement à partir de 16 ans) son éducation comme bonus « gratuit ».

[6]: C'est d'ailleurs bien là la définition d'un état totalitaire: un état qui s'immisce partout, qui contrôle tout, qui fait tout pour vous, — et pour lequel vous faites tout.

[7]: Notons que le calcul comptable peut servir d'outil pour décomposer un calcul économique en sous-calculs indépendants modulo la décomposition d'une action en facteurs indépendants. Mais dans ce cas, le calcul comptable, loin de se substituer au calcul économique, est une factorisation tentative qui n'a de sens qu'au sein d'un calcul économique prospectif: en supposant une certaine décomposition de l'activité en diverses composantes, peut-on détecter aisément que telle sous-activité coûte trop par rapport à ce qui se fait ailleurs ou à ce qu'on s'imagine qui pourrait se faire modulo un certain effort, si bien qu'on pourrait la remplacer par un substitut meilleur marché ou l'améliorer? Et même en tant qu'outil lors d'un calcul économique, la décomposition sous-jacente au calcul comptable n'est pas un absolu incontestable, et est elle-même sujet à un raisonnement économique: en changeant l'attribution des postes, peut-on réorganiser l'activité d'une façon que l'on espère plus efficace?

Cela pour dire qu'il ne s'agit pas pour nous de rejeter la pertinence de tout calcul comptable — il y a une bonne raison pour laquelle ce calcul est apparu et s'est perfectionné depuis des millénaires. Ce que nous dénonçons, c'est le sophisme qui consiste à évacuer le calcul économique proprement dit derrière le rideau de fumée de cette étape parfois utile mais jamais essentielle qu'est le calcul comptable. Jamais essentielle, parce que par sa nature même, elle ne peut pas toucher à l'essence du calcul économique: la comparaison entre les conséquences de plusieurs choix possibles.

[8]: Si d'aucuns sont emplis de dédain anti-intellectuel en ce qui concerne les raisonnements contre-factuels dans le passé, ils ne pourront toutefois pas faire l'économie de raisonnements contre-factuels quant au futur: la question de savoir que faire? aujourd'hui et que faire? demain ne sera pas résolue sans analyse contre-factuelle. Et en fin de compte, toute décision prise aujourd'hui ne peut se faire que sur des idées, que sur des principes, que sur des abstractions: par définition, les faits futurs sont inconnus; et les faits passés eux-mêmes ne sont connus que via assimilation et interprétation subjective. Ainsi, les soi-disants arguments contre « la théorie », contre « les beaux principes », et pour « la pratique », ne sont en fait que des arguments fallacieux pour certaines pratiques qui ne reposent pas moins sur des théories et sur des principes pas-si-beaux; ce sont des arguments pour défendre l'indéfendable en supprimant la raison.

Il y a une importante conséquence au fait que chacune des décisions de chacune de nos vies est prise sur des spéculations, sur des conjectures, sur une information partielle, sur une évaluation des futurs possibles, sur des hypothèses impossibles à vérifier directement parce qu'elles portent sur des futurs contre-factuels, sur des paris plus ou moins informés mais toujours hasardeux quant au meilleur choix parmi ces futurs possibles. Cette conséquence est qu'en un sens profond, chaque homme est un entrepreneur, et chaque vie une entreprise: il n'est pas possible de justifier nos actions par une fantomatique connaissance objective absolue; nous ne pouvons fondamentalement agir et engager les ressources à notre disposition qu'en fonction de convictions personnelles.

C'est aussi pourquoi les notions de liberté et de responsabilité, sont essentielles dans tout système juridique: si quiconque crée des ressources est privé de la liberté de choix de les affecter, cependant qu'autrui peut déterminer la destination de ressources qu'il n'a pas créées sans en être tenu responsable, alors les uns ont été réduits à l'état de sujétion par les autres, Car en fin de compte, les ressources prélevées de force sur les uns auront servi à satisfaire les choix personnels d'autrui, sans qu'il soit permis d'affirmer que ce fût pour un bien absolu. La coïncidence entre la liberté de décision et la responsabilité des actes n'a pas d'autre nom que droit de propriété.

[9]: Sans l'incitation à la quantité puis les quotas, sans la nationalisation de la pollution, l'agriculture intensive et polluante serait sans doute remplacée par une agriculture plus propre, « biologique », moins polluante, etc. Au lieu de surproduire des denrées inutiles, on produirait d'autres denrées: des produits actuellement haut de gamme, ou alors des carburants verts. Et si vraiment il n'est pas rentable de rien faire pousser sur un terrain donné alors le terrain sera aménagé pour autre chose que l'agriculture: des parcs naturels abritant un retour de la vie sauvage, des habitations permettant à des hommes de vivre avec plus d'espace, des champs d'éoliennes, etc. On peut tenter de deviner comment les terrains agricoles actuels seraient utilisés en l'absence de la P.A.C., mais cela ne restera jamais que des conjectures, par définition. Les usages effectifs seraient en fin de compte déterminés par l'imagination et les préférences des personnes prêtes à engager les fruits de leur travail passé et futur dans l'aménagement effectif desdits terrains.

[10]: François Guillaumat, par symétrie, appelle cette comptabilité à sens unique un sophisme anti-comptable.

[11]: Le revers passé sous silence contient aussi les actions utiles empêchées par les monopoles et la réglementation, et là encore, l'escroc politique s'emploiera à discréditer ces actions, et à prétendre qu'il sait toujours mieux que les personnes concernées ce qui est utile pour elles, à moins qu'il ne confisque tout bonnement la liberté individuelle de chacun au nom d'un bien collectif élusif.

[12]: Notons que le mot rentable employé ci-dessus ne signifie rien d'autre que le fait que les personnes concernées trouveront que les satisfactions qu'elles reçoivent de l'affectation des ressources concernées vaut le sacrifice desdites ressources qu'elles y investissent, par comparaison à tout autre usage des mêmes ressources. Non seulement ces satisfactions n'ont pas besoin d'être financières, mais ultimement, ces satisfactions ne sont pas financières du tout — on ne se vêt pas d'or, ni ne mange de l'argent. Les délires économicistes des étatistes, et leur paranoïa à accuser les autres de ce qui est leur propre défaut, ne changent rien à l'affaire. En fin de compte, ce que revendiquent sans le dire les étatistes, c'est qu'un politicien peut mieux juger que les citoyens ce que valent toutes ces satisfactions non mesurables, pour ensuite en faire une moyenne macroéconomique et prendre des décisions sur de tels calculs. Non vraiment, les satisfactions dont il est question, et qui incluent le fait de prendre son temps, de développer des rapports humains, etc., sont des satisfactions éminemment personnelles, et nul politicien ne peut juger à la place des citoyens ce que ces satisfactions leur valent, et lesquelles parmi ces satisfactions sacrifier à l'aune du « bien public ». La seule position humaniste est encore une fois la position libérale: Que chaque individu soit libre de choisir quelles priorités donner à quelles satisfactions étant donné les ressources limitées à sa disposition.

[13]: Pour une étude plus détaillée de ce phénomène de la « double incidence de la perte » comme l'appelait Bastiat, voir notre article postérieur sur La Loi de Bitur-Camember.

[14]: Ainsi, du point de vue économique, quand les complications administratives empêchent des entreprises d'être créées, toutes les richesses et satisfactions que ces entreprises ne pourront produire sont détruites par l'intervention étatique; les politiciens de tirent aucun bénéfice direct de cette destruction, et sont à ce titre des vandales plutôt que des voleurs. Bien sûr, ils sont aussi voleurs, quand ils accaparent les richesses inférieures produites avec leur intervention. Du reste, ces deux aspects, si on peut plus ou moins les comptabiliser, ne sont pas complètement séparables: vandalisme et vol sont liés, et peuvent être regroupés sous le concept de viol du droit de propriété.

[15]: Voir dans une note précédente le sens qu'il faut donner à « rentable ».

[16]: Ou au contraire, sans États pour conduire guerres, génocides et destructions de masse, et appauvrir le peuple à coup de prohibitions, restrictions et réglementations, la société civile, bien plus prospère, aurait pu s'offrir de tels rêves bien plus tôt.

[17]: Mais en fait, comme nous l'avons vu dans une note précédente, cette incertitude fondamentale est le propre de toute connaissance de notre univers, et non pas l'exclusivité de la connaissance scientifique. C'est bien pourquoi toute action humaine est recherche des moyens d'améliorer notre vie. En fin de compte, toute prétention à présenter telle aventure comme « recherche » à l'exclusion d'autres entreprises, n'est qu'un argument d'autorité pour imposer la tyrannie des technocrates sur ceux qui devront abandonner leurs propres recherches pour financer sur les fruits de leur labeur les recherches d'autrui.

Pour un développement de ces idées, consulter des ouvrages d'épistémologie libérale, dont des textes de Ludwig von Mises, Murray Rothbard, Ayn Rand, Hans Herman Hoppe, ou François Guillaumat. Ma propre contribution en matière d'épistémologie est disponible dans la section 5 de mon article L'État, Règne de la Magie Noire.

[18]: Heureusement, sauf dans le cas de pays aussi complètement isolés que les dictatures les plus communistes, la concurrence internationale avec la recherche étrangère rend plus difficile aux scientifiques officiels de débiter des imbécillités: s'ils se couvrent d'un ridicule qui remonte jusqu'à leurs supérieurs, ils risquent de subir le sort qu'ils promettent aux scientifiques qui leurs désobéissent. Or justement, la concentration de la recherche en des monopoles continentaux diminue cette concurrence; le pire, qui donnerait lieu à une multiplication de phénomènes de type lyssenkisme, serait la concentration de la recherche au niveau mondial, dans les mains de l'ONU. Encore une fois, seule la liberté individuelle de n'être pas d'accord, de faire ce qui nous semble juste, peut empêcher la tyrannie de la bêtise. Dès qu'il y a pouvoir politique, il y a des ambitieux politiques, qui gravissent quatre à quatre les marches du pouvoir, et la compétence par laquelle ils se distinguent n'est ni la créativité scientifique, ni la probité, ni l'altruisme, mais la passion dévorante du pouvoir.

[19]: Notons que dans une bureaucratie, il n'y a même pas besoin de la moindre intention consciente, et encore moins de conspiration explicite, pour que se fasse une telle accumulation de pouvoir en des cliques: il suffit que dans chaque décision, chacun promeuve ceux dont en son âme et conscience il pense qu'ils sont les plus capables, à savoir ceux qui pensent comme lui. Bien sûr, dans de telles affaire, la probité joue en la défaveur de ceux qui la conservent, puisqu'ils ne sauront pas constituer de clique puissante, et qu'ils perdront ainsi toute influence et tous crédits au profit de ceux qui n'ont pas tant de scrupules. C'est donc bien le fonctionnement normal d'une bureaucratie, et non pas son « détournement » qui mène au règne de cliques, et à la constitution d'un Establishment.

[20]: Cette illusion est d'autant plus remarquable dans un domaine comme la recherche, dont le principe même est précisément et exclusivement de produire de l'information! Mais la production et l'utilisation d'information est un souci présent dans toutes les branches de l'activité humaine, et la régulation du flux d'information est justement un des effets de l'application des règles d'un marché libre, par opposition à la réglementation politique, qui est dérégulatrice et source de chaos.

Quand ils sont libres, les hommes peuvent comparer, et dynamiquement ajuster leurs attentes et leurs comportements aux attentes et aux comportements des autres. Quand les uns sont à la merci des autres, les maîtres ne disposent ni de l'information nécessaire à agir finement selon les capacités précises et dynamiques des soumis, ni de l'information nécessaire à agir dans l'intérêt précis et dynamique des mêmes soumis (dans le cas où ils se soucieraient aucunement de cet intérêt). Quand bien même ils seraient désintéressés, les maîtres sont incompétents à aider leurs soumis. Et d'ailleurs, ces soumis leur en voudront quoi qu'ils fassent, bien ou mal, car c'est l'oppression et l'aliénation de leur liberté qu'ils ressentent comme des maux; quant aux choix dont ils sont dépossédés, pour s'adapter et ne pas déprimer, ils apprennent à ne plus s'en soucier et à se concentrer plutôt sur la liberté qui leur reste. En même temps, le goût du pouvoir attirera dans la position de maître les gens les plus ambitieux et dénués de scrupules, au détriment de tous ceux qui sont sur leur chemin ou sous leurs ordres.

F.A. Hayek, dans son œuvre, a bien développé le point de vue cybernétique sur la société, en termes de découverte et d'usage de l'information par les individus. Voir par exemple son article The Use of Knowledge in Society, ou, pour ce qui est des rapports de pouvoir politique, son livre The Road To Serfdom.

[21]: Dans une telle situation d'intervention politique omniprésente, chaque administrateur, chaque citoyen, chaque titulaire potentiel d'une aide, sauve comme il peut les ressources à sa portée du désastre institutionnel, en les détournant à son compte, participant du désastre tout en sauvant les meubles à son profit. On a bien du mal à dire quel comportement est le plus moral ou immoral: laisser les ressources accaparables être détruites par le système, ou les utiliser pour une fin utile (à soi tout au moins) avant qu'elles soient dissipées par les rouages institutionnels. Ce qui est sûr en revanche, c'est que le système du monopole est le mal même, et que ceux qui le promeuvent se font, le plus souvent sans vouloir en être conscient, les suppôts du mal, le comble de l'immoralité.

[22]: De nos jours, « le peuple » a remplacé Dieu, mais au fond, la mystique social-étatiste de la démocratie absolue par mandat populaire est la même mystique que celle de la monarchie absolue de droit divin. Voir notre article précédent, l'étatisme, forme moderne de la magie noire et sa suite L'État, Règne de la Magie Noire.

[23]: D'aucuns argueront que le choix d'un collègue plutôt qu'un autre, voire l'absence d'une communication sur les travaux constitue l'exclusion de facto de tous ceux qui n'ont ainsi pas accès aux résultats de ces travaux. Mais c'est là une propriété universelle de toute action humaine qu'elle discrimine entre le réel et tous les potentiels jamais réalisés; et c'est un argument particulièrement et vicieusement fallacieux que d'opposer cette propriété universelle aux actions libres, alors qu'elle s'applique tout autant aux actions contraintes — et que la différence est tout le mal que la contrainte suppose. Mais un tel « deux poids, deux mesures » est caractéristique de la doublepensée inhérente à tous les croyants dogmatiques: ils posent la vérité de leur croyance en axiome, en pétition de principe, et l'exemptent d'avoir à se justifier devant le moindre des arguments qu'ils sont prompts à inventer contre les théories concurrentes. Leur capacité à soulever ces arguments montre que leur intellect est pleinement développé; leur problème n'est donc pas un « manque d'intelligence », mais bien un déréglement des conditions dans lesquelles s'exerce (ou manque de s'exercer) cette intelligence, — une pathologie mentale.

Quoiqu'il en soit, ce qui nous intéresse est la notion d'exclusion de droit, par opposition à cette notion (universelle donc sans pertinence) d'exclusion de fait. Pour approfondir cette distinction entre de jure et de facto, lire par exemple notre article (en anglais) Microsoft and Government: A Libertarian View On Monopolies.

[24]: Notons que le secret, quand il n'est pas assorti de privilèges légaux, n'est pas une forme de protectionnisme ou d'exclusion légale: le coût de préservation du secret retombe sur ceux qui partagent le secret, et est réparti entre eux via des accords contractuels de non-diffusion. La propriété intellectuelle, elle, fait retomber le coût de préservation de l'exclusivité d'une information sur ceux qui en sont exclus. Cela crée une externalité négative dans les coûts d'enforcement, dont l'effet prévisible et observable est que dans un régime de « propriété intellectuelle », les lobbies des industries protégées feront étendre indéfiniment les restrictions légales au détriment de tous, bien au-delà de ce qui est rentable macroéconomiquement ou légitime ab jure naturale. Dans un monde libre, où ne régneraient pas les privilèges de propriété intellectuelle, il y aurait donc exactement autant de secret qu'il est rentable de préserver efficacement, et pas plus. Voir par exemple mes notes sur cette conférence d'Ejan Mackaay.

Pour ce qui est des brevets, voir en anglais mon dossier Patents are an Economic Absurdity. La bibliographie dudit article contient aussi de nombreux articles pertinents sur les copyrights.

[25]: En fait, la question véritablement importante est de savoir si la violence politique a lieu, et qui en sont les responsables, quand bien même ces criminels seraient des idiots utiles qui n'en tirent aucun profit, plutôt que des exploiteurs qui vivent en parasites.

[26]: David Boaz, du CATO Institute, résume fort bien cette notion: « The fundamental class division in any society is not between rich and poor, or between farmers and city dwellers, but between tax payers and tax consumers. » Mais l'idée est déjà présente chez Bastiat, Tom Paine, et probablement bien chez des auteurs antérieurs.

[27]: La « solidarité » est le substitut communiste à la charité dénoncée comme « bourgeoise ».

[28]: La plupart de ces étatistes, ouvertement anti-démocrates dans les idées qu'ils professent, se rangent par ailleurs sous la bannière « démocratie », par démagogie, par conformisme. On aurait bien tort de les accuser d'être plus hypocrites que ceux qui se réclament de la volonté populaire: car en fin de compte, les premiers comme les seconds, dans les faits agissent selon des principes qui nient la volonté populaire telle que révélée par les actions libres d'un peuple libre. Sur la vraie démocratie, celle sans politiciens, lire cet article anonyme de 1962, democracy with a small « d ».

[29]: Selon les règles sociales acceptées, un ordre surgira de l'adaptation du comportement de chaque individu à ces règles: le « choix collectif » de la société ne sera rien d'autre que le résultat de ce phénomène d'émergence. Dans le cas de règles libertaires, où les règles respectent le choix libre et responsable des individus pour tout ce qui concerne leur propriété, fruit de leur création, surgira un ordre où chacun pourra s'accomplir au mieux dans le respect des autres, s'adaptant aux attentes et aux comportements les uns des autres, sans que nulle agression ne soit légitimée. Dans le cas de règles autoritaires, où les règles promeuvent le pouvoir politique des uns sur les autres, cet ordre émergeant sera non pas la réalisation des fantasmes des tyrans, mais le résultat de l'adaptation des citoyens opprimés à la coercition: la réaction des sujets contre l'autorité quand elle s'oppose à leur volonté individuelle, leur contournement coûteux des obstacles que l'autorité leur impose, leur renoncement aux opportunités dont l'autorité les prive. Le bilan de la violence d'agression, qui est le principe ultime de l'autorité, n'est autre que les souffrances que cette violence inflige, la négation de la liberté des sujets et de la responsabilité des décideurs.

[30]: On remarquera comment l'intervention politique a interverti les sens des mots « public » et « privé », puisque ce qui est contrôlé par le monopole prend le nom de « public », alors que ce qui est offert à l'activité libre de tous prend le nom de « privé ».

[31]: Déjà dans les années 1840, Frédéric Bastiat montrait comme toutes les interventions protectionnistes étaient basées sur ce principe: travailler plus pour profiter moins. Ou pourra lire par exemple son article Abondance, et ses Sophismes Économiques.

C'est ainsi que l'incidence de l'intervention de l'État, dans la recherche comme ailleurs, est d'augmenter l'investissement des ressources employées et de diminuer la somme et l'utilité des résultats obtenus, tout en violant les préférences de toutes les personnes concernées sauf éventuellement les dirigeants politiques qui imposent les leurs.

[32]: En France, les intellectuels de gauche s'élèvent souvent contre la soi-disant « pensée unique », cette supposée idéologie commune partagée par tous à travers le Système, et qui vient au secours des méfaits du Libéralisme Sauvage. En fait, si le conformisme règne effectivement dans les milieux intellectuels français, ainsi que dans la plupart des médias et institutions de pouvoir de par le monde, ce conformisme est massivement étatiste, avec un net penchant à gauche: le consensus dans presque tous les médias, toutes les institutions éducatives, tous les livres, tous les films, est que l'État-providence est bon, nécessaire, et doit être étendu, que l'État est là pour protéger les gens de la sauvagerie du Marché, que la recherche du « profit » est un mal, que les « riches » exploitent les « pauvres », qu'un gouvernement démocratique est la solution magique à tous les problèmes, mais que la démocratie doit être « protégée » contre les « extrémistes », que la collectivité doit l'emporter sur l'individualité sauf peut-être dans une sphère personnelle qui n'est jamais explicitée que quand elle n'a aucune importance, qu'il n'y a absolument pas d'absolu qui puisse aucunement limiter le pouvoir étatique, sauf pour des lieux communs comme le fait qu'il n'y a absolument pas d'absolu, etc. La croyance que les libéraux dominent le Système fait partie de cette idéologie étatiste qui est le Système, et qui pose en rebelle, alors qu'elle est dominatrice. Tout discours réellement dissident est ainsi rendu incompréhensible à tous sauf aux plus perspicaces assoiffés de vérité, ce qui permet au Système de coopter les rebelles potentiels les mieux placés, et de semer la confusion parmi les vrais opposants au Système.

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