Faire la guerre ou ne pas la faire?
Telle n'est pas la question.

François-René Rideau

http://fare.tunes.org/

Une version de cet article a été publiée sur la Page Libérale (2003-02-22). Pour toute discussion, on pourra utiliser le forum adéquat. Du même auteur, sur la guerre en Irak, lire aussi « Une guerre pour le pétrole irakien? Il faut apprendre à compter avant de dire des bêtises! ». On pourra aussi voir les dossiers qu'ont consacré à la guerre Le Québécois Libre et La Page Libérale. Enfin, j'ai écrit une suite à cet article, « Faire la guerre ou ne pas la faire? Faux dilemmes et vraie morale », ainsi que divers billets sur mon blog: Neither "Yes" Nor "No", But "Mu", N-ieme clarification, Mu c'est mu.


On me demande souvent de me positionner par rapport à la question: « Faut-il que le gouvernement US fasse la guerre à l'Irak, ou pas? » Pour celui qui pose la question, la réponse « oui » ou « non » lui permettrait de me classifier dans l'une des catégories « ami » vs « ennemi », « mec sympa » vs « gros con », « intellect supérieur » vs « abruti fini ». Eh bien, du point de vue libéral, la réponse n'est ni « oui », ni « non », mais « mu ».

Le bouddhisme Zen nous enseigne qu'il faut savoir « dé-poser » les mauvaises questions par un « mu ». Voilà précisément une question à laquelle il faut ne pas répondre.

Faut-il que Al Capone tue ce criminel de Bugs Moran, ou ne le faut-il pas? D'un côté, Moran est un criminel, qui a fait tuer moult innocent; il mérite bien son sort, et arrêtera ainsi ses sombres activités. D'un autre côté, Al Capone est aussi un criminel, qui n'a pas d'autorité particulière à faire valoir pour condamner et exécuter Moran. Les partisans du massacre de la Saint Valentin diront à raison que Bugs Moran est coupable, et que peu importe qui le tue, s'il le mérite (et d'ailleurs, le coût de son exécution, ce sera déjà ça de sauvé pour le contribuable). — Que les bandits s'entretuent, ça fera autant de bandits en moins. Faut-il pour autant en conclure qu'il est bon que Capone tue Moran? Peut-être. Faut-il soutenir une telle action? c'est discutable. La prétendre légitime? c'est douteux. Faut-il se ranger du côté de Capone? Sans doute pas. Se dire son allié? Non, certainement pas — car une telle alliance relève de la complicité avec les crimes de Capone. Alors, peste ou choléra? Hitler ou Staline? Staline ou Trotsky? Il est des camps que l'on ne choisit pas.

Et même entre la grippe et le SIDA, je ne choisis pas la grippe. Du strict point de vue libéral, du point de vue du Droit, je dis: ni l'un ni l'autre. Est-ce « raisonnable »? Et si quelqu'un possède deux seringues, et propose de vous inoculer l'une ou l'autre? Ne faut-il pas alors choisir le virus de la grippe plutôt que le VIH? Sans doute l'Intérêt, sinon la Morale, commande de faire un choix, si on peut déterminer laquelle des deux seringues est la moins mauvaise.[1] Cependant, le libéralisme en tant que tel est une théorie du Droit. Et le propos du Droit n'est pas de dire le bien et le mal.[2] Le Droit se cantonne à distinguer ce qui est juste de ce qui est criminel.[3] Or, dans une telle alternative, tout ce que le Droit conclut, c'est que celui qui nous met devant un tel dilemme est lui-même ipso facto un criminel. La grippe, le SIDA, sont des malheurs; celui qui vous inflige de devoir subir l'une ou l'autre est un criminel.

Que dire, donc, au sujet de la guerre en Irak? Que la guerre est criminelle. Que le régime de Saddam est criminel. Mais aussi et surtout, que ceux qui restreignent la liberté d'action d'autrui à ce choix sont des criminels. Tous les gouvernants, tous les journalistes à la botte et autres « leaders d'opinion » — tous ceux qui participent de la propagation et de l'enracinement du paradigme collectiviste des États-Nations, qui soumet les individus aux états, et ne permet de sanctionner un dictateur que par la guerre contre tout le peuple qu'il a soumis — eux tous sont sinon des criminels, du moins des complices de criminels.

Voilà, selon moi, ce que se borne à dire le libéralisme. Il ne sert à rien de répondre à une question qui ne se pose pas. À moins que vous ne soyez profondément impliqué dans une de ces entreprises criminelles que sont les états, votre opinion ne compte pas — alors à quoi bon en avoir? Et si vous êtes impliqué, alors vous êtes vous-même criminel bien au-delà de cette question. En tant que libéraux, nous devons nous garder d'entrer dans le jeu des étatistes et de répondre dans le cadre de leur problématique. Notre rôle est précisément d'enrayer cette problématique plutôt que d'en participer.

Les étatistes incitent chacun à avoir une opinion sur une telle question, parce qu'avoir une opinion implique d'accepter les prémisses de la question. Les libéraux rejettent les prémisses, et ne répondent donc pas à la question. Alors, si un policier vous demande « pourquoi avez-vous tué votre femme? », répondez: « Mu ».


Notes

[1]: La réponse ne sera pas la même pour un jeune à la santé robuste et une longue espérance de vie, qui préférera une grippe passagère, que pour un vieillard à la santé fragile et à l'espérance de vie courte, qui préférera la maladie au long cours de la séropositivité au VIH (car dans un cas, il peut en mourir, cependant que dans le deuxième il mourra de toute façon avant que la maladie se déclenche).

[2]: Voir notre article suivant, « Faire la guerre ou ne pas la faire? Faux dilemmes et vraie morale. »

[3]: Voir de Bertrand Lemennicier, La notion de guerre juste.

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