Ceci est un compte rendu partiel et partial de la conférence donnée par Ejan Mackaay le 20 octobre 2000 à l'Université Paris II Assas.
Les mots employés sont les miens (moi: François-René Rideau, FR dans la suite), d'après les notes prises durant la conférence, même si j'ai vaguement essayé de coller à certaines expressions dont je me suis souvenu. Les sous-titres sont miens. Toutes les erreurs sur le fonds ainsi que toutes les fautes sur la forme sont miennes, et ne sauraient être opposables à l'orateur ni aux intervenants. Les commentaires entre accolades {comme ceci} décrivent l'action, telle que je m'en souviens. Les commentaires entre crochets [comme ceci] sont mes propres remarques, qui n'engagent absolument personne d'autre que moi. Le reste est ce que j'ai compris des propos de l'orateur et des intervenants. J'ai pu me tromper dans mes souvenirs en identifiant les intervenants.
Mon impression est qu'Ejan Mackaay est une personne très sensée et très sérieuse, qui a potassé le sujet (mais pourrait encore faire mieux, comme en témoignent plusieurs erreurs de détail), et qui prend soin de modérer ses propos, étant donné qu'ils sont censés s'adresser à des économistes et à des juristes. Cependant, il n'en pense pas moins, et rien de ce qui a été dit ne l'a choqué.
{J'arrive à 17h48, et la conférence commence à peine, avec une douzaine d'auditeurs seulement, vite rejoints par quelques retardataires. Bertrand Lemennicier (BL), notre hôte, a déjà présenté l'orateur, qui vient de prendre parole, après avoir demandé à la salle si dans l'auditoire se trouvaient des juristes, auquel cas il adapterait son discours, et reçu une réponse négative.}
Ejan Mackaay (EM) aborde les questions juridiques depuis le point de vue d'un économiste. Son domaine, l'analyse économique du droit, est encore peu pris en compte par les juristes, qui s'en méfient. Si ce domaine est reconnu par les économistes, il lui reste à conquérir la citadelle du droit. Pour cela, il faut éviter de braquer les juristes; il faut les convaincre que l'analyse économique du droit n'a pas vocation à les éliminer ou les remplacer, mais à les servir, comme un outil pour prendre de meilleures décisions. Il reste à créer une pierre de rosette permettant la communication entre économistes et juristes.
Les media décrivent l'Internet comme un lieu de piratage sans limite, vision d'horreur où sont bafoués les droits des auteurs. À l'opposé, il y a un mouvement pour le libre partage des informations, avec la FSF {que EM appelle erronément Free Software Association}, etc.
EM évoque un article lu dans Wired, où John Perry Barlow évoque son expérience de parolier des Grateful Dead, qui faisaient payer le droit d'accès à la musique vivante (les concerts), mais pas à la musique morte (les enregistrements, qu'ils encouragent leurs fans à faire et à s'échanger librement). Pour JPB, le droit d'auteur ne nous rend pas service. La collection des juristes du droit d'auteur s'affolent tandis que leur Titanic sombre, et discutent des détails de la propriété intellectuelle, alors que la propriété intellectuelle elle-même est condamnée.
Cependant, les tenants du droit d'auteur sont forts puissants, et font constamment voter des lois pour renforcer leurs droits; ils veulent faire interdire les moyens techniques permettant la copie [DMCA]. Or, si on empêche ces moyens, on crée les conditions d'une pénurie artificielle d'information, on empêche le commerce. Une autre façon d'empêcher les copies et la concurrence est via les brevets; des brevets sur des techniques évidentes sont déposés (1-Click d'Amazon, qui, pour des avocats des brevets, est une hérésie, le symptôme d'une course à la catastrophe). EM évoque aussi le cas DeCSS, et qui se retrouve néanmoins publié un peu partout sur l'Internet. Ce dernier point montre d'ailleurs les limites [naturelles] de la souveraineté des États: ils sont physiquement incapables de faire appliquer une telle interdiction.
Sur le plan du droit se pose alors cette question: quels sont les principes qui permettent de séparer les codifications légitimes et souhaitables des codifications illégitimes et nuisibles? Les économistes considèrent cela du point de vue de la délimitation de droits de propriété. Il a fallu des siècles pour inventer les droits de propriété et le fait que la propriété est exclusive, permanente, et transférable, ce qui n'avait rien d'évident a priori, des siècles pour faire accepter ces droits, pour définir leurs délimitations actuelles, etc. Par quels processus ces découvertes sont-elles faites? La science du droit n'est pas infuse; quand le législateur prend ses décisions sans pouvoir les baser sur des critères [rationnels], il ne fait en fin de compte que céder aux lobbies les plus forts, ce qui n'est pour eux un exercice typique de recherche de rente (rent-seeking).
EM propose comme processus (historique) [et rationnel] de découverte de droits de propriété l'émergence naturelle de ces droits à travers des arrangements contractuels. Pour cela, il propose d'examiner les droits de propriétés d'abord selon un point de vue statique, mais ensuite et surtout selon un point de vue dynamique.
Pour EM, il faut traiter la propriété intellectuelle comme une "espèce" de propriété, en ce qu'elle a trait au même type de questions, celles de droits individualisés sur des objets (en ce cas intangibles), qui permettent de s'approprier les fruits de décisions. Le principe de la propriété est d'établir un lien organique entre une décision et la jouissance des fruits qui en résultent. [Point de vue cybernétique:] On optimise les performances du système (humain) en maximisant la rétroaction entre le preneur de décision et les effets de ses décisions. La question de la propriété intellectuelle n'est donc pas étrangère à celle de la propriété. [Reste à voir que justement la propriété intellectuelle empêche des décisions, ou nie à celui capable de les prendres les fruits éventuels de son travail.]
La propriété est liée à une rareté naissante, signalée par un conflit entre plusieurs personnes. C'est le conflit qui fait apparaître une ressource rare que tous ne peuvent pas exploiter simultanément. La propriété est alors une façon de régler les conflits, qui a l'avantage d'être décentralisée [et donc de minimiser l'arbitraire, et d'éviter la redite ultérieure de conflits passés].
Que faut-il pour que fonctionne cette institution de la propriété? Il faut qu'il soit possible de réserver les décisions à un individu: il faut une clôture. La technique de clôture peut être physique (mur), mais pas forcément; elle peut être logique (cryptage), voire psychologique (marketing, services privilégiés accordés aux acheteurs de plein droit, etc), voire juridique (poursuites, etc) [voire carrément mafieuses, en rançonnant les commerçants avec une armée de malfrat; je conteste la légitimité des contraintes juridiques, à moins qu'elles ne soit purement défensive, pour contrer la violence faite par autrui à une clôture légitime; sinon, elles ne valent guerre mieux que le racket, étant elles-mêmes basées sur la violence et la menace de violence.]
La clôture n'a pas besoin d'être totalement hermétique, tant qu'elle a un rendement suffisant pour permettre à l'individu d'accaparer la valeur créée par son travail. Ainsi, si on se fait cambrioler une fois, on ne va pas renoncer à protéger ses biens en protégeant l'accès à sa maison; mais s'il est impossible d'empêcher le vol, on renoncera aux efforts de clôturage, et on ne se souciera plus d'être propriétaire.
La clôture est un outil pour le propriétaire, mais est elle-même un bien rare, susceptible d'innovation. Au Moyen-âge, Les chiens de bergers ont permis la constitution de plus grands troupeaux; de même les fils de fer barbelés ont eu ce rôle aux États-Unis, etc.
Est-ce le rôle de l'État que de protéger la Propriété? oui et non. Le rôle de l'État est résiduel: punir la violence, le vol caractérisé. L'État ne peut pas être présent partout pour s'occuper des détails [à moins qu'il ait des prétentions totalitaires]. Il ne joue de rôle qu'à la marge. Pour les problèmes quotidiens, chacun est le premier intéressé par ses propres problèmes de propriété, et a la responsabilité de ses propres clôture. [Et d'ailleurs, l'État n'a pas la légitimité pour décider du prix des clôture que les individus sont prêts à payer autour de quels biens, et encore moins pour forcer les uns à payer les clôture des autres.]
Comment la Propriété s'étend-elle à de nouveaux domaines? i.e. Comment va-t-on pouvoir capter de nouveaux droits, créer de nouvelles clôtures? Si on s'en remet aux autorités pour cela, on a raté le bâteau (sic) [i.e. on aboutit à des privilèges arbitraires conférés par l'autorité, au détriment des non-privilégiés.] Si au contraire, on s'en remet à la liberté de contracter, de s'associer, de définir des moyens [sanctions civiles] pour limiter les fuites, alors on peut laisser émerger la découverte de nouveaux droits de propriété. L'aspect décentralisé [et surtout, volontaire!] de ces droits émergents les rend légitime.
Histoire pour juriste: à la fin du siècle dernier (vers 1880), la propriété intellectuelle avait été reconnue comme suffisamment importante pour que des conventions internationales (Bern, Paris) soient signées à ce propos. Mais ces conventions ne couvraient pas le cas des semences viticoles résistant à certaines maladies. Pour moderniser l'agriculture, il fallait passer de l'âge des techniques empiriques transmises de père en fils (ou en fille) à celui des laboratoires scientifiques spécialisés; or comment financer ces laboratoires? D'aucuns ont demandé au législateur d'émettre des brevets sur des semences résistantes. En 1910, l'État a dit non, sous la raison qu'on ne saurait breveter la nature. En effet, le brevet achète la publication d'une invention avec un monopole; ce n'est pas un acte gratuit, mais un troc, avec le compromis implicite que ce qui relève de la nature elle-même (lois scientifiques de la nature, idées, algorithmes, etc) ne peut être monopolisé, parce que l'effet serait trop fort. [Il est paradoxal que ce qui fait la force même du brevet, sa capacité à définir un monopole, qui est l'essence de la motivation qu'il prétend donner aux inventeurs, est précisément ce qui lui est reproché; or quelle meilleure motivation pour un inventeur qu'un monopole plus étendu? Si l'argument des brevets tenait, qui ne considère qu'une face de la médaille, il faudrait d'autant plus les justifier quand leur effet est plus grand! Or il faut prendre en compte l'autre face de la médaille. Les partisans du brevet le passent sous silence quand la médaille est petite, mais ils ne sauraient faire que cette face n'existe pas, et que même "petite", elle surpasse toujours en coût ce que la face positive apporte en bénéfice.] Les associations de cultivateurs se sont donc organisées pour financer les laboratoires, par côtisation, moyennant un contrôle visant à empêcher les fuites des résultats techniques hors de l'association [à moins que celle-ci n'ait reçu compensation de la part des nouveaux entrants]. Les bienfaits de la formule ont été tels qu'elle a passé les mailles des poursuites menées à l'encontre des cartels [l'État veut le monopole de la convergeance d'intérêts individuels], et a finalement été incorporée dans la loi (1975). Les tâtonnements ont montré la validité de la formule.
De même, les formules de copropriété immobilière ont émergé, avant d'être formalisées en loi en 1920.
En Angleterre, les marques de commerce sont apparues bien en avance sur les autres pays, émergeant à partir du XVIème siècle. Des marchands ayant un grand nombre de consommateurs ont associé leur nom à leurs produits, pour en faire reconnaître des qualités non immédiatement visibles. Les marques n'étaient pas un droit de propriété, mais on poursuivait pour "passing of", imitation mensongère, [tromperie sur la marchandise] ceux qui contrefaisaient une marque. C'est après trois siècles de jurisprudence que le phénomène a été reconnu par la loi, au XIXème siècle [et on y a perdu, puisque c'est maintenant la collectivité qui va supporter le coût de clôturage qui était autrefois dévolu à l'aspirant propriétaire].
En résumé, si vous avez le contrôle d'un objet au départ, et par une formule contractuelle en limitez la diffusion, exigeant de tout nouvel entrant qu'il fasse à son tour valoir la limitation, vous pouvez faire émerger un nouveau droit de propriété. Les tribunaux n'ont rien à en dire, sauf à la marge, à l'occasion de fuites. [Quant à moi, je conteste l'opposabilité de tels contrats civils, dès lors que la sanction contre l'infraction de fuite n'est pas proportionnée à la valeur légitimement perdue par celle-ci, valeur que seule la concurrence pourrait évaluer, et qui ne saurait légitimement être laissée à la seule appréciation du maître d'un cartel]
Malheureusement, le principe contractuel n'est pas reconnu par les juristes. Au Canada, le gouvernement a dissous en tant que cartels les associations de pêcheurs qui auto-réglementaient la pêche, au nom justement que ces associations clôturaient l'accès à la pêche contre les non-membres de ces associations. Depuis, c'est la surexploitation des ressources à l'intérieur des limites définies (et surtout, imposées) par l'État; les pêcheurs n'ont plus intérêt à s'auto-limiter, puisque les poissons ne leur appartiennent pas.
Dans son article "Governing the Commons", Hardin décrit comment l'exploitation d'une propriété collective est moins rentable que celle de propriétés individuelles, quand celle-ci est possible [car la propriété collective noie la rétroaction décisionnelle]. Y a-t-il des moyens d'exploiter en commun de manière rentable des ressources dans les cas où les clôtures sont impossibles ou trop chères? OUI, il y a toute une variété de formules existantes qui sont apparues au cours des siècles aux quatres coins de la terre {EM cite plusieurs cas répertoriés par des ethnologues}.
Java, langage universel multiplateforme développé par Sun, à partir d'un copyright, définit par contrat une nouvelle formule de partage. [Sauf que Sun est parti de la propriété intellectuelle, plus forte, et non volontaire, pour l'adoucir par un contrat, plutôt que de faire émerger des droits à partir de la libre volonté des participants. A la base, il y a donc l'usage d'un privilège d'État, qui empêche a priori la légitimation de la formule comme par émergence.] {J'interromps EM pour lui faire la remarque que la SCSL de Sun utilise la PI; EM répond que son propos est que Sun utilise diverses clôtures existantes pour en fabriquer une nouvelle, qui définit par contrat une propriété partagée.} [Mais il y a une différence essentielle entre partir de la liberté, et faire accepter des contraintes, et partir du privilège, et accepter de laisser des libertés. C'est la différence entre clôturage et ouverture!] {J'interromps à nouveau EM, et pour l'amener à parler de ces problèmes, parle du cas GNU qui me semble plus intéressant.} [Mes remarques comme celles d'EM valent essentiellement pour GNU, même si ma conviction est que le contrat qui émergerait naturellement serait très proche de BSD ou GNU, sachant que n'étant pas opposables aux tiers, les contrats n'empêcheraient jamais la libre diffusion de copies binaires.] {Sans me laisser élaborer, EM dit que ses arguments valent aussi pour Linux.} [Je suppose que EM cite Java plutôt que GNU, parce que cela fait "sérieux" dans les milieux économistes et juridiques. De même, il cite Linux plutôt que GNU, parce que c'est plus à la mode. Je ne pense pas que ces choix soient conscients de la part d'EM. Ils sont caractéristiques de l'image que donnent les media du phénomène libre logiciel, même pour une personne relativement bien informée.] {EM embraye et je n'insiste pas.}
Un autre cas à considérer est le partage des idées scientifiques: jusqu'au XIXème siècle, elles circulaient librement entre chercheurs, par communications privées (livres, courrier, rencontres, etc), et nul ne pouvait ni ne pensait en limiter l'accès. [En fait, si: les brevets datent du XVIIIème siècle, et les corporations d'ancien régime limitaient les échanges techniques. Cependant, cela se faisait en effet dans des sphères moins abstraites que la science "pure".] Au fur et à mesure, il y a eu création d'académies nationales, d'associations corporatistes, et avant la première guerre, avec l'apparition des droits d'auteurs, les publications (payantes) desdites académies ont commencé à être assorties de droits exclusifs. Le mouvement s'est amplifié entre deux guerres, et à la fin de la deuxième guerre, l'exploitation commerciale de droits exclusifs sur la recherche scientifique était généralisée. Avec ces monopoles, le prix des abonnements a augmenté, du coup, les abonnés se sont restreints, se regroupant par bibliothèques, centres de recherche, etc, que leur budget peu extensible conduisait à être sélectif, etc, ce qui a encore fait augmenter le prix des abonnements. Au point que la formule se suicide, selon de nombreux scientifiques, d'autant plus que le temps de sélection éditoriale fait que les textes publiés en revue ont deux ans de retard sur la pointe de la recherche. Du coup, les chercheurs retournent informellement au modèle de la renaissance, avec le libre partage des copies de travail, des prépublications, etc. Certains pontes établis comme Milton Friedman en économie, peuvent se permettre de ne pas publier librement leurs articles, que nombreux sont les chercheurs prêts à payer pour lire, mais ils sont une petite minorité.
Les partisans du partage peuvent et doivent démontrer la viabilité de leurs formules de la même façon que les partisans de la propriété intellectuelle: en les pratiquant dans le cadre de la libre acceptation de contrats. [Oui, c'est justement ce que les informaticiens font avec les licences libres, alors qu'au contraire que les partisans des formules de propriété intellectuelle reconnues n'ont jamais fait de telle démonstration, ayant de suite eu recours à la législation!] EM considère que les arguments théoriques ne sont pas concluants. [Du point de vue pratique, il est clair que les juristes seront plus difficiles à convaincre avec des principes qu'avec des faits; cependant, rappelons que les principes sont précisément les lois générales qui décrivent universellement les faits. Voir les premiers chapitres de "Droit, Législation et Liberté" de Hayek, à ce sujet.] Cependant, dans l'établissement de droits de propriété, le législateur doit éviter de favoriser la recherche de rente. [Et qu'est-ce que c'est que ça, sinon un principe théorique! Il y a des principes théoriques valables, que peut trouver la science; le nier a priori, c'est rejeter a priori la raison.]
{La conférence a duré a peu près une heure, le débat aussi. J'ai pris de moins en moins de notes au cours du débat; il faut dire qu'EM y intervenait de moins en moins, voir presque plus du tout vers la fin. Après coup, il commente: "J'ai trouvé la discussion plutôt intéressante et si je suis moins intervenu vers la fin, c'est parce que je trouve important de ne pas tuer l'élan des contributions de personnes qui vivent ces problèmes au jour le jour. Mon ambition est de fournir un cadre qui permet de voir un ordre, une structure dans les différentes initiatives qui foisonnent sous nos yeux."}
Virginie X., de l'APRIL (V):
Quid si les brevets empêchent l'interopérabilité.
EM: laissons courir, et les gens faisant des produits non interopérables
seront mis en minorité par les produits interopérables.
[Oui, c'est ce qui se passe. Le marché fait son choix, mais lentement,
du fait de l'inertie des privilèges anciens, et du biais qu'est la
création constante de nouveaux privilèges par les brevets.]
EM: Java...
FR: Java moins bon exemple que GNU.
EM: Linux... [Arg, toujours pas GNU!]
FR: la licence GNU GPL est un accord de non-agression.
EM: l'individu fait un contrat garantissant la propriété commune;
Linus détient le copyright sur Linux, mais s'en sert pour garantir,
via le contrat de licence, le respect du partage.
[Mouais, mais c'est toujours l'émergence à l'envers, d'anti-propriété;
ce qui est intéressant en soi puisque cela montre que le phénomène
d'émergence est réversible, qu'il peut corriger ses erreurs.]
YR (Yvon Rasteter, de l'AFUL):
un directeur chez Cap Gemini a affirmé que les systèmes propriétaires
mourraient lentement d'eux-mêmes, remplacés par les systèmes libres,
par un phénomène darwiniste de sélection naturelle.
Virginie (?): les brevets sur les logiciels?
EM: c'est une catastrophe! Les droits d'auteurs aussi d'ailleurs.
Ils n'ont pas du tout été conçus pour ça et se révèlent complètement inadaptés.
Cependant, à partir du moment où ils existent, il y a un dilemme du prisonnier,
et tout le monde a intérêt à en profiter un maximum et de déposer des brevets,
pour ne pas se faire avoir par les autres.
Du coup, il y a une course entre détenteurs de brevets,
et une tendance à une forte concentration chez les uns.
FR: l'émergence permet de construire des droits de propriété légitime.
La question est comment reconnaître et détruire les privilèges illégitimes
existants?
EM: la dynamique d'émergence ne permet pas en soi de se débarasser
des privilèges. Le droit est conservateur.
C'est pourquoi il faut être si prudent en matière de création de droits.
Le législateur fait mieux quand il attend l'émergence que quand
il décide arbitrairement.
Ex: création arbitraire CNIL et réglementation des informations privées;
cela impose des structures très lourdes déjà inapplicables
et qu'il faut se garder d'étendre.
[Les bonnes intentions ne servent à rien sans compréhension des problèmes.]
Pour montrer le poids du conservatisme, l'abrogation des droits féodaux
en Angleterre a posé des problèmes énormes, au XIXème siècle (?);
la Révolution Française, pour tout le mal qu'elle a fait,
a réussi à mettre à plat toutes les couches successives de droits
qui s'étaient accumulés durant l'ancien régime.
X: quel critère pour déterminer le caractère juste d'un droit?
EM: question difficile...
l'analyse économique est un outil,
qui permet, pour certains propos,
de retrouver l'intuition de justice des juristes
(et qui s'applique aussi dans des cas où cette intuition fait défaut,
ou ne fait pas unanimité).
BL (Bertrand Lemennicier):
au XIXème siècle, où ces problèmes ont été traités
(ils n'ont quasiment pas été traités durant le XXème siècle),
il y a eu essentiellement deux écoles qui se sont opposées:
l'approche du conséquentialisme et celle du droit naturel.
[Pour moi, le libéralisme affirme justement que les deux se valent,
et que toute contradiction apparente entre les deux est due à une
erreur de raisonnement; malheureusement, de nombreux
conséquentialistes, commettent l'erreur monumentale de ne considérer
que les faits bruts, en refusant de jamais y voir le moindre principe
-- ce qui est soi-même un principe, et des plus stupides]
EM: exemple d'analyse économique du droit.
Si après une expédition dans un lieu reculé (Himalaya, Pôle sud, etc)
ayant coûté 500 000 F, l'explorateur confie ses pellicules à
développer à une boutique de photo qui les gâte par erreur,
la boutique est-elle justiciable à hauteur des 500kF?
Intuition: en l'absence de clause contractuelle, non,
car la boutique ne pouvait pas savoir.
Raisonnement économique: en effet, puisque la boutique ne peut pas savoir,
il ne peuvent pas prévoir le risque encouru, qui ne pourra donc être
supporté que sous forme d'une assurance qui sera répercutée sur tous les
clients. Les clients devront donc tous payer pour couvrir un risque que
la plupart d'entre eux ne prennent pas, ce qui est économiquement inefficace
[et donc injuste].
X: quid si la loi faisait que les logiciels étaient libres
pour les utiliser mais pour lesquels on paierait à partir
du moment où on s'en sert pour faire de l'argent?
EM: ça existe déjà sous forme de shareware.
Laissons le marché décider...
FR: de nombreuses boîtes font ça. Du "libre pour usage non-commercial".
Ca ne prend pas, face au logiciel libre.
[Le Darwinisme à l'oeuvre, encore une fois.]
FR: si les droits de propriété peuvent émerger,
quel est l'apport du législateur?
EM: en définissant des contrats types, des lois cadres,
il donne des repères qui simplifient et économise les choix.
FR: oui, mais il n'est pas besoin pour cela de sanction pénale.
Des contrats civils suffisent, et s'il faut donner un cadre,
des contrats types définis par organisations consultatives font
parfaitement l'affaire, sans qu'il y ait besoin de sanction pénale.
EM: oui, le législateur abuse souvent de son pouvoir de création
de droit pénal là où le droit civil suffit.
FR: le législateur n'a de rôle que négatif,
puisque son seul effet est d'ancrer des privilèges dans la loi,
là où l'émergence de droits aurait naturellement fait disparaître
des formules moins bonnes au profit de formules meilleures.
Le Législateur, c'est l'Ennemi.
BL: en tant qu'auteurs, nous autres scientifiques
enseignants et chercheurs cherchons l'audience;
l'éditeur cherche à maximiser son profit en posant des obstacles à l'audience.
Ce sont des intérêts conflictuels, que l'Internet annule.
EM: la seule denrée rare, pour les scientifiques, c'est la réputation.
X: pour le logiciel libre aussi, la réputation compte beaucoup...
BL: avec Linux, comment gagne-t-on de l'argent?
FP (Fabien Penso): par la vente de service, de compétence technique...
Quand Matra a mis son logiciel OpenCascade en OpenSource
[Diantre, pourquoi ne pas dire logiciel libre!?],
il n'a perdu aucun bénéfice, au contraire:
l'absence de vente de licences a été compensée la première année
par la vente de services, qui a augmenté la seconde année.
Quand on fait du libre, il faut avoir une certitude: être le meilleur.
A partir de là, on n'a plus peur de publier les logiciels,
car on est le mieux placé pour vendre du service.
BL: je comprends l'intérêt du libre pour l'innovation,
mais que gagne le consommateur?
FR: l'innovation est favorisée parce que c'est sur les activités
marginales que l'on gagne de l'argent, donc en produisant ou en innovant.
C'est la même raison qui fait [encore plus directement!]
que le consommateur y gagne: il ne paie que le travail marginal,
donc beaucoup moins; il ne paie que l'innovation;
celui qui vendra des copies sans rien n'apporter ne pourra les vendre
que pour la valeur marginale d'une copie, c'est à dire pour des clous,
cinq francs le CD, là où celui qui vendra la confiance en sa marque
pourra le vendre 200F.
[Le libéralisme, c'est une théorie de la marge.
Les choix se font à la marge. Le travail se fait à la marge. etc.]
FP: Les brevets ne sont pas efficients économiquement.
Quand Adobe et Macromedia s'étripent à coups de millions de dollar
autour d'un brevet idiot sur la gestion de couleurs,
c'est de l'argent qui part en fumée, au profit d'avocats.
Quand je publie mon logiciel, cela ne me coûte marginalement rien,
et j'y gagne en réputation (j'ai été contacté pour vendre du support dessus).
BL: le but de l'auteur étant de se faire connaître,
les clôtures sont ses ennemis.
Certains reprochent que pour qu'un auteur se permette de dire ça,
il doit avoir d'autres ressources pour vivre,
mais dans la pratique c'est souvent le cas.
EM: l'histoire de FP ressemble beaucoup à celle des Grateful Dead.
X: notion de brevet chronodégradable?
FP: c'est la technologie qui les dégrade naturellement.
EM: des formules limitées envisagées pour la biologie.
Mais à partir du moment où l'un a des brevets, les autres aussi
(s'est vu en génétique).
FP: le cas de l'Amiga, qui fut roi du marché familial avec Atari,
et est mort d'être propriétaire, alors même qu'il y avait une
communauté de passionnés, encore active dix ans après,
qui ne l'aurait jamais laissé mourir si l'architecture avait été libre.
FR: plus directement, le cas du PC, techniquement la pire
de toutes les architectures existantes,
qui a vaincu parce que du point de vue de la propriété intellectuelle,
c'était la plus libre de toutes ces architectures existantes.
YR: d'ailleurs, quand IBM a essayé de capter le marché, avec le PS/2,
le marché n'a pas suivi.
FR: le marché est même resté au PC, inférieur techniquement au PS/2,
et a attendu que les améliorations viennent de sources plus libres
(et donc meilleures marché).
{Fin du débat vers 19h30.}
Autres pointeurs pertinents: