Alain Madelin, ou la faillite du crypto-libéralisme François-René Rideau |
25 avril 2002
Cet article a été publié dans le numéro 103 du Québécois Libre http://quebecoislibre.org/. J'en ai depuis légèrement retouché la forme ou éclairci le propos sans toucher au fond.
Un résultat remarquable des dernières élections présidentielles est le score ridiculement bas d'Alain Madelin, candidat de Démocratie Libérale. M. Madelin a réussi à obtenir un appui à peine supérieur au vote blanc, bien qu'il ait été le premier à entrer en campagne, il y a plus d'un an. À tout le moins, la stratégie de ce candidat a été un fiasco, une perte monumentale d'énergie pour un bilan pathétique. Quelles leçons en tirer?
Alain Madelin est un authentique libéral; il est d'ailleurs le seul homme politique d'envergure à l'être en France. La chose est certaine pour ceux qui le connaissent en privé, ou qui savent lire entre les lignes de son discours politique. Cette chose est inconnue du grand public, qui n'a de toute façon aucune idée de ce qu'est vraiment le libéralisme.
Pour cette élection, le principal atout que Madelin s'était donné était d'avoir développé un programme d'action précis sur ce qu'il ferait quand il serait au pouvoir. Alain Madelin a pu au cours de la campagne montrer comme ses idées étaient réalistes et pratiques; mais comme il était visiblement le seul des candidats qui semble avoir sérieusement réfléchi à la chose, ses propos semblaient hors-sujet dans le reste de la campagne électorale.
Cependant, le point clef est que son programme reposait tacitement sur les idées et valeurs libérales comme seules justifications; or, Alain Madelin, par un choix tactique, de peur d'être impopulaire, s'est refusé à exposer ou argumenter en public ces idées et valeurs libérales, au point d'éviter systématiquement l'emploi même du mot « libéral » en public. C'était là la méthode idéale pour convaincre les convaincus, et ne convaincre qu'eux. On a vu qu'ils étaient peu nombreux.
Cette renonciation à défendre ouvertement les idées libérales est caractéristique de la stratégie d'Alain Madelin, depuis toujours: l'alliance avec les conservateurs et l'évitement du débat d'idées. Depuis plus de vingt ans, Madelin a décidé de jouer le jeu du clivage gauche/droite et de pencher à droite, alors même que le libéralisme par essence ne se place pas sur cet axe, mais en haut de l'axe libertaire/autoritaire sur le losange politique[1].
Dans cette alliance contre-nature entre le libéralisme et son ennemi historique originel qu'est le conservatisme protectionniste, Madelin a cherché à ne pas trop se compromettre; il a même tenu à préserver son honneur privé (pour ne pas dire son amour propre), en préférant démissionner que d'appliquer une politique complètement contraire à ses idées. Mais il n'en a pas moins accepté d'avaler moult couleuvres, et de n'avoir d'opposition aux conservateurs que mezzo voce.
Cette soumission, il a accepté de s'y plier à nouveau à l'occasion de la récolte des fameuses 500 signatures nécessaires à sa candidature. Or les électeurs ne sont même pas au courant de son futile honneur privé, geste d'un moment qu'il n'a jamais osé exploiter médiatiquement; ils ne voient que son allégeance publique indéfectible envers les partis conservateurs.
Alain Madelin semble craindre l'isolement et l'impopularité, plus qu'il ne souhaite l'avancement de ses idées. Il a peur d'effrayer ses alliés et la moitié de ses troupes en étant radical. Il a peur de traverser le désert, et accepte donc le joug de l'opinion et les humiliations de ses alliés de circonstances. C'est ce sentiment négatif, cette peur, qui l'empêche de se lancer dans le débat d'idées. Et c'est ainsi qu'il abandonne la seule chose qui puisse donner de la valeur à son combat, qui est aussi la seule chose qui aurait jamais pu lui valoir l'estime du public: la dignité de défendre ses idées. Car il ne faut pas prendre les électeurs français pour des c..., cela, ils ne le pardonnent pas. Ils savent estimer une personne franche et courageuse (Arlette), même quand ils ne partagent pas vraiment ses idées dont ils savent qu'elles ne tiennent pas la route. Ils n'estimeront jamais une personne qui n'ose pas défendre ses idées au grand jour.
Frédéric Bastiat, un auteur que Madelin connaît et admire, faisait campagne, pour un autre ou pour lui-même, à toutes les élections qu'il pouvait, depuis 1830. Cependant il ne le faisait pas dans l'espoir d'être élu, il le faisait pour promouvoir ses idées. Ses campagnes ne consistaient pas en de la propagande démagogique, des promesses électorales, des effets de marketing; elles étaient au contraire, un énoncé clair de ses convictions, un éclaircissement des principaux malentendus concernant ses idées et son engagement[2].
Son espoir n'était pas de se faire élir d'abord par la démagogie, pour appliquer une fois élu un plan secret conforme à ses idées; il était de faire connaître et partager ses idées et ses valeurs. Inlassablement, et surtout après qu'il commença à acquérir une certaine notoriété en 1844, Bastiat écrivit, publia, pour défendre ses idées, débattant par presse interposée avec les protectionnistes et collectivistes les plus en vue de l'époque, donnant des conférences dans tout le pays pour faire avancer la cause qui était la sienne.
S'il avait peu de succès et d'audience au début, sa ténacité et sa constance portèrent leurs fruits, puisque Bastiat fut finalement élu à l'Assemblée en 1848 et en 1849. Parlementaire, il ne s'assit pas plus parmi les protectionnistes que parmi les collectivistes, et siégea donc à gauche, la majorité étant conservatrice. Il ne vota jamais par alliance électorale, mais toujours selon ses idées. Sa carrière fut malheureusement interrompue par sa mauvaise santé et son décès prématuré en 1850[3].
La carrière de Bastiat démontre qu'il est possible de faire avancer ses idées en faisant campagne politique. Mais pour cela, il faut savoir renoncer à l'espoir de victoires électorales à court terme, et travailler sur le long terme: 15, 20 ans. Il faut savoir défendre des idées justes mais impopulaires, pendant longtemps, jusqu'à ce qu'elles aient fait leur chemin dans la tête des citoyens électeurs. Les victoires à court terme sont impossibles de toute façon, et les moyens qu'on consentirait à user pour les obtenir auront des effets secondaires terriblement néfastes, qui corrompraient tout succès superficiel en un profond désastre.
Madelin, au contraire, a choisi la voie du compromis soi-disant réaliste; reconduisant d'année en année des alliances tactiques à court terme, il n'a trouvé que la voie de la compromission. En refusant de diffuser ses idées et les faire avancer, il croit qu'il sera plus facile de réaliser leurs conséquences, mais il se leurre, car les électeurs rejettent et rejetteront toujours ces conséquences qui vont contre leurs préjugés, et dont il refuse de défendre les seules justifications sur le plan des principes. Il croit se prémunir contre la défaite, il ne fait que l'accélerer, la rendre plus complète. Il croit faire de la realpolitik, il ne fait que perdre son âme. Madelin est un Lorrenzaccio qui n'aurait même pas tué Alexandre. Ne le plaignons pas d'avoir raté; plaignons-le d'avoir essayé.
Lire aussi:
[1]: Voir le plus petit test politique du monde sur le site des Advocates for Self-Government http://www.theadvocates.org/quiz.html ou en version française par Christian Michel http://www.liberalia.com/htm/cm_droite_ou_gauche.htm (aussi disponible avec un compteur automatique sur le site de Patrick Madrolle http://perso.wanadoo.fr/patrick.madrolle/economie/_test1.htm; variantes chez Turion http://ordre.net/?id=56).
[2]: On peut trouver sur http://bastiat.org les professions de foi électorales de Bastiat, qui sont des chefs d'oeuvres de littérature politique.
[3]: Ce décès de Bastiat fut bientôt suivi par celui de plusieurs autres grands libéraux parisiens, et par la censure ou l'exil des autres, sous le joug de Napoléon le petit.
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