Passivisme:   Pour sauver le monde, commencez par vous-même
Introduction
1 Des classiques de l’évasion de prison
2 La vanité de l’activisme
3 Activisme contre Passivisme
4 Passivisme
5 L’activisme ne peut pas marcher
6 Les ressources en jeu
7 Ce que l’activisme achète
8 Bonne volonté
9 Efficacité
10 Les amateurs ne sont pas efficaces
11 Construire la bonne volonté
12 Les bases du passivisme
13 Voter avec ses pieds
14 Objectifs et non-objectifs du passivisme
15 Réalité
16 Technologies libératrices
17 L’esprit pionnier de la technologie
18 Toutes les technologies ne sont pas égales
19 Autres lectures
20 Les trois portes de la sagesse

NH Liberty Forum 20155–8 mars, Manchester, New Hampshire.

2015

Passivisme: Pour sauver le monde, commencez par vous-même

François-René RideauGoogletunes@google.com

L’activisme ne peut pas rendre le monde libre, il ne peut pas libérer autrui, car fondamentalement, il consiste à lutter, à tomber dans le piège des jeux à somme négative. Le passivisme peut rendre le monde plus libre — en rendant une personne libre : vous. Il est à la fois plus efficace et moralement supérieur. Mais il exige également une approche plus saine de soi-même, des autres et du monde, fondée sur l’acceptation et la compréhension. La liberté apparaît alors comme un problème fondamentalement technologique. De nombreuses technologies existantes sont disponibles et peuvent être utilisées. Pour faire progresser la liberté, il faut innover dans les technologies de la liberté ; nous aborderons quelques défis et prospectives.

Ce discours a été prononcé au New Hampshire Liberty Forum 2015, à Manchester, New Hampshire, le samedi 7 mars 2015. Traduit de l’anglais par l’auteur, janvier 2022.

Introduction

Bonjour, je suis François-René Rideau, le think tank en solo derrière Bastiat.org. Je suis bien publié dans les milieux libéraux francophones, mais dans le New Hampshire, je suis surtout connu pour ma chanson Et un poulain.

Aujourd’hui, je vais descendre l’activisme et promouvoir le passivisme : Autrement dit, ne vous sacrifiez pas pour sauver le monde, arrêtez d’essayer de changer les autres, et donnez-vous plutôt pour priorité de vous améliorer vous-même et votre vie avec.

N’est-il pas merveilleux de venir à une conférence remplie de personnes qui font de l’activisme ou qui pensent qu’elles devraient en faire plus, et de leur dire que l’activisme est pour sa plus grande partie une ineptie ?

Bien sûr, le diable se cache dans les détails de ce que j’entends par « activisme », et de ce que j’entends par « passivisme ».

Notez que je ne prétends pas vous décourager de faire quoi que ce soit en particulier — ce que je prétends, c’est vous encourager à prendre du recul. Je veux que vous repensiez à quels efforts sont efficaces ou ne le sont pas, à quelles fins, et à là où est votre premier devoir — je vous invite à réfléchir à la fois en termes d’efficacité et de moralité — et ainsi vous entreprendrez les actions par lesquelles vous pouvez le plus contribuer à sauver le monde : celles qui vous sauvent vous-même.

1 Des classiques de l’évasion de prison

Mais d’abord, puisque cette conférence porte sur comment échapper à l’oppression injuste de scélérats, imaginons un remake croisé de deux grands classiques hollywoodiens de l’évasion de prison : Luke la main froide — et Les Évadés.

Qui ici ne connaît pas ces films ? Les protagonistes sont en prison, dominés par des gardiens cruels, accusés de crimes qu’ils n’ont pas commis ou qui ne devraient même pas être des crimes. Luke la main froide est le rebelle qui ne se pliera jamais à l’autorité ; condamné à des années de prison pour un acte de vandalisme insignifiant contre une propriété dite « publique » — en fin de compte, il est en prison juste parce qu’il ne respecte pas l’autorité. Et là, on le fait travailler avec des criminels ordinaires. Ne s’inclinant jamais devant les gardiens, il est toujours aussi réfractaire, malgré des punitions cruelles ; et il ne cesse de tenter de s’évader, malgré des punitions encore plus cruelles, jusqu’à ce qu’il finisse par être tué par le méchant directeur de la prison. Autre histoire, dans le film Les Évadés, Andy Dufresne, un comptable, est condamné à tort, à la prison à vie, pour le meurtre de sa femme ; il est la proie à la fois des criminels emprisonnés et des gardiens de prison criminels — jusqu’à ce qu’il montre aux gardiens comment minimiser leurs impôts et gérer leurs finances, après quoi ils le protègent au lieu de le tuer, et il peut vivre une vie tranquille en gérant la bibliothèque de la prison. Ainsi, dans ce remake croisé, vous pouvez imaginer que tous les prisonniers admirent Luke la main froide chaque fois qu’il tient tête à l’Autorité, qu’ils l’acclament chaque fois qu’il s’échappe et qu’ils le soutiennent chaque fois qu’il est repris. Ils l’aiment tellement, du moins pour les quelques mois qu’il vit, et ils se souviennent de lui pour toujours après sa mort. Il est le héros prototypique que les militants aspirent à devenir : il se tient toujours droit, n’abandonne jamais, ne se rend jamais, toujours debout faisant face à l’Autorité. En même temps, tout le monde regarde Andy Dufresne de haut, lui qui s’incline devant les gardes et travaille pour eux (enfin, tout le monde sauf Luke lui-même, qui est trop bon pour des sentiments aussi négatifs). Et pendant les nombreuses années où Andy survit parmi eux — ils le méprisent et le détestent, bien qu’ils craignent et envient la protection qu’il obtient, et apprécient les améliorations à la prison qu’il obtient des gardes.

Pourtant, à la fin, qui gagne contre le système, et qui est battu ? Qui parvient non seulement à s’échapper mais aussi à punir les méchants ? Et qui meurt pitoyablement, sa seule réussite étant d’avoir donné aux méchants des occasions supplémentaires de se délecter de leur sadisme ? Luke la main froide a beau être un type extrêmement sympathique, en fin de compte, c’est un perdant, et il est abattu comme un animal par les gardiens de la prison alors qu’il fuit pour sauver sa vie. Pendant ce temps, Andy Dufresne creuse secrètement un tunnel chaque nuit ; et après vingt longues années en prison, non seulement il s’échappe, mais il s’enfuit aussi avec tout l’argent de tous les comptes qu’il gérait pour les geôliers, et envoie les preuves de leur corruption et de leurs meurtres aux autorités.

Luke la main froide avait un grand potentiel, mais il a gâché sa vie et n’a rien accompli — vers la fin, il accuse Dieu des maux dont il est accablé, mais en fait, il est lui-même responsable de chacun d’entre eux. Et non, ses « victoires morales » de courte durée ne comptent pas. La façon correcte d’épeler « victoire morale » est « D E accent aigu F A I T E ». Andy Dufresne, par contre, a été malmené par le sort, mais il a victorieusement tenu tête à l’Autorité, il a amélioré sa vie et celle des autres détenus durant son séjour en prison, et à la fin il a réussi à s’échapper encore assez jeune pour profiter de la vie — et avec beaucoup d’argent, cependant que les méchants étaient punis.

Et donc qui est le vrai héros : Luke la main froide, l’activiste? Ou Andy Dufresne le passiviste ?

Mon message pour vous aujourd’hui est : ne soyez pas Luke la main froide. Soyez Andy Dufresne. (Et je tiens à remercier mon ami Evan pour l’histoire).

2 La vanité de l’activisme

J’aime collectionner les citations. En voici une superbe, tirée d’une pièce de Paul Claudel : « Et qui a délivré le plus d’esclaves? Celui qui ayant vendu son patrimoine les rachetait un par un, Ou le capitaliste qui a trouvé le moyen de faire marcher un moulin avec de l’eau ? »

Nous pourrions également nous demander, par exemple, qui sauva les baleines de l’extinction, à l’époque où leur graisse était la première source d’huile combustible au monde ? Des militants écologistes ? Détrompez-vous ! Ce fut Rockefeller, l’homme qui réussit à extraire de l’huile de roche, à l’échelle industrielle, à des prix dégringolants qui défièrent toute concurrence, de sorte que la pêche à la baleine devint une proposition au coût exorbitant.

Qui stoppa le génocide mené par Léopold de Belgique et ses sbires au Congo ? Les activistes pacifistes ? Non. Ce furent les botanistes et les industriels qui plantèrent des forêts d’hévéas en Inde et qui firent en sorte que l’extraction du caoutchouc sauvage par le meurtre de masse ne fut plus rentable.

Qui libéra les femmes occidentales de leur statut de citoyennes de seconde classe ? Les militantes féministes ? Non. Ce furent les inventeurs et les industriels qui commercialisèrent la machine à laver, le réfrigérateur, l’aspirateur, de nombreux appareils ménagers, etc. et, bien sûr, les chercheurs qui mirent au point les contraceptifs.

Je pourrais continuer à l’envi.

Les activistes aiment prétendre que le bien qui s’est produit l’a été grâce à eux, simplement parce qu’ils ont désiré que de bonnes choses se produisissent et qu’ils ont été très bruyants en public. Mais la réalité n’avance pas sur la base des bonnes intentions. Les passivistes sont ceux qui font le vrai travail difficile pour amener le changement. Vous ne les entendez pas, mais ils créent la technologie qui rend le changement non seulement possible mais inévitable.

3 Activisme contre Passivisme

Eh donc, qu’appellé-je « activisme », et qu’appellé-je « passivisme » ? Comment faire la différence, et pourquoi prétends-je que l’« activisme » ne peut rien apporter de bon ?

L’activisme, c’est tenter de changer autrui par des protestations, des manifestations, des appels au boycott, des piquets de grève, des actions perturbatrices, des cris, des pressions, des menaces, etc. Dans les cas extrêmes, l’activisme peut devenir violence, terrorisme, escadrons de la mort — tous actes légaux lorsque l’activisme a pleinement réussi. En d’autres termes, l’activisme consiste en la confrontation contre ceux avec qui vous n’êtes pas d’accord, pour les amener à se soumettre à votre volonté, par tous les moyens. L’activisme c’est jouer à des jeux à somme négative. (Notons d’ailleurs qu’en France, nombreux sont les activistes qui se disent « militants », se revendiquant donc ouvertement de la guerrière et de la confrontation violente et destructrice que constitue leur « militantisme ». Voir le monde à travers le prisme exclusif des « luttes » est d’ailleurs le principe même de la religion socialiste qui a conquis la France.)

Les activistes dénués de succès sont des nuisances sans danger, toujours agités, qui ne contribuent au monde que bruit et fureur, inimitié et amertume. Les activistes couronnés de succès sont des despotes qui utilisent l’État pour plier impunément leurs adversaires à leur volonté par la coercition. En d’autres termes, ils sont exactement ce à quoi s’opposent les libéraux !

Le passivisme c’est s’améliorer soi-même et être le changement que l’on veut voir dans le monde. Ce n’est ni rechercher le soutien ou l’approbation d’autrui, ni en dépendre, et qui moins est de la soumission d’autrui ; tout ce que le passivisme demande d’autrui, c’est l’absence d’interférence, par l’évitement si la discussion ne marche pas. Le passivisme, c’est créer des choses utiles et belles, c’est construire des structures solides qui peuvent durer ou être facilement reconstruites, qu’elles soient physiques ou sociales. C’est poursuivre le progrès par la compréhension de la technologie et de la société. Le passivisme, c’est jouer à des jeux à somme positive.

Les passivistes dénués de succès restent des personnes honnêtes avec lesquelles vous pouvez avoir des échanges positifs, dont vous pouvez apprendre et qui peuvent apprendre de vous. Les passivistes couronnés de succès sont de grands hommes d’affaires qui créent de grandes richesses dont bénéficient des millions de personnes. En d’autres termes, ils sont exactement ce que les libéraux défendent!

4 Passivisme

Pour expliquer ce que j’entends par passivisme, par contraste, laissez-moi vous lire cet article que j’ai écrit il y a quelques années pour une anthologie libérale française :

Vivre libre, vivre bien

Sans se libérer soi-même, il est impossible de sauver les autres. – Musō Soseki (1275-1351)

Sauver le monde en le soumettant au joug d’un Pouvoir exercé par des anges. Voilà le rêve de la Politique, vendu à crédit à tous les gogos assez crédules pour croire aux anges, hommes supérieurs et autres sauveurs suprêmes. Tu ne tombes plus dans ce panneau : tu es libéral. Mais peut-être te demandes-tu encore comment sauver le monde ? As-tu en tête un de ces plans rocambolesques où tous les plus paumés que toi, par une soudaine illumination, résoudraient tous les problèmes de coordination pour ensemble instaurer une utopie, chassant les parasites actuels sans que d’autres ne les remplacent ? Tu es encore victime de la même arnaque ; en vain voudrais-tu user contre les Maîtres d’un Pouvoir que la populace posséderait, par lequel elle régnerait soi-disant : il est imaginaire. Les Maîtres sont bien maîtres, et non le contraire ; leur Pouvoir, réel, est celui du mensonge et de la domination. Par ce Pouvoir, tu pourrais à la rigueur devenir Calife à la place du Calife, mais tu ne pourrais pas sauver le monde ; car sauver le monde, ce serait précisément le détruire, ce Pouvoir.

Abandonne donc ces faux espoirs, mirages collectivistes de plus. Tu n’as pas le pouvoir de sauver le monde ; nul n’a ce pouvoir, pas plus que celui de le damner d’ailleurs, et fort heureusement. Tu n’en as pas le devoir non plus. Par contre tu as un devoir, que cette diversion te mène à négliger, un but atteignable, qui t’a été personnellement assigné, qui est ta tâche la plus importante, et pour accomplir laquelle tu es la personne à la fois la mieux placée et la plus capable : te sauver toi-même !

Une fois sauvé, un monde de nouvelles possibilités s’ouvrira à toi ; si parmi elles il y en a qui sauvent autrui — je te fais confiance pour œuvrer en ce sens, si le goût t’en dit toujours. Mais il te sera difficile de sauver quiconque tant que tu seras toi-même en détresse. Donc, non seulement te sauver toi-même est-il ton premier but, c’est le moyen nécessaire pour tout but ultérieur et supérieur que tu voudrais atteindre. Un moyen très efficace, car l’exemple de ton succès fera plus d’émules que tes meilleurs arguments, qui ne toucheront que les rares curieux de ton sujet qui n’y auraient pas encore arrêté leurs idées. Enfin, t’avoir sauvé est le critère de tout moyen par lequel tu prétendrais sauver autrui. Ton idée marche-t-elle ? Essaie-la sur toi-même d’abord ! C’est aussi en essayant, en entrant en interaction avec le monde, que tu perfectionneras les compétences qui t’aideront toi et ceux que tu pourras aider, en montrant le chemin autant sinon plus qu’en partageant les fruits de ton succès.

Vide donc ton esprit des névroses par lesquelles tu tentes de contrôler autrui ou te laisses contrôler. Vouloir convaincre qui ne veut pas l’être, c’est déjà le poison de la politique. Vouloir plaire aussi, que ce soit à tes parents, ta famille, tes amis, collègues, patrons ou clients, voire à une nébuleuse « société ». En te soumettant à leurs jugements, leurs attentes, leurs bien-pensances supposés, tu vis sous un masque ; ce n’est plus toi qui vit, ce n’est même pas eux non plus, juste un zombie qui ne rend personne heureux. Laisse tomber le masque. Montre-toi à tous tel que tu es. Rencontre qui t’appréciera pour qui tu es, non qui chérit une image fausse sous laquelle tu es caché, prisonnier. Ceux qui t’aiment vraiment t’accepteront. Les autres t’éviteront, te quitteront — et c’est tant mieux.

En te découvrant, tu te découvriras. Apprends à t’accepter toi-même comme tu es. Accepte les autres comme ils sont, le monde comme il est. La vérité est ton alliée, le mensonge ton ennemi. Celui que tu fais aux autres, qui te fait entrer dans des relations de contrôle, mais aussi et surtout celui que tu te fais à toi-même, qui te fait échouer dans tes projets, ou pire encore qui te fait manquer de vivre ta propre vie. La vérité fait parfois mal maintenant, le mensonge te coûtera plus cher, plus longtemps.

Ta vie est faite de choix. Quand tu ne choisis pas, tu ne vis pas. Laisse tomber les « je dois », les croyances imposées de l’extérieur, les névroses intériorisées ; dépouille-toi de tout bagage superflu, de toute superstition, et même des théories qui semblent vraies mais que tu ne saurais pas personnellement justifier, de tes « je sais » de seconde main. Explore tes « je peux », acquiers des « je comprends » ; ils sont nombreux qui t’échappent parce que tu ne les regardes même pas, que tu as perdu l’habitude de les voir, que tu n’as pas acquis la compétence de les examiner, de les créer. Abandonne toute honte et reconnais d’abord ton ignorance. Puis, approfondis les sujets qui t’intéressent. Devient un expert à force d’humilité, de lecture, de pratique, d’expérimentation, de réflexion. La méthode scientifique s’applique à ta vie : recherche ce que d’autres ont fait, essaie plusieurs approches, mesure les résultats, vois ce qui marche pour toi.

Ose voyager. Vivre ta vie est-il difficile ou dangereux où tu es ? Tu vis au mauvais endroit, où tu n’as aucun futur, et qui n’en a guère lui-même. Fuis. Ailleurs, quelque part, il y a une carrière qui t’attend, des amis, une femme ou un mari. Le voyage peut être intérieur. Il est changement, émerveillement. N’aie pas peur de perdre ce qui te laisse étranger à toi-même pour gagner ce par quoi tu te réaliseras. Affronte ton destin.

Il est encore temps. D’aucuns, ayant tout perdu, plus âgés que toi, ont refait leur vie avec succès, dans un nouveau pays dont il ne parlaient pas la langue, dans un nouveau métier dont ils ne connaissaient rien. S’il est trop tard pour avoir eu autant de succès que telle célébrité au même âge, il n’est jamais trop tard pour commencer de vivre libre, de vivre bien.

Le passivisme n’est pas seulement plus efficace : il est votre premier et plus important DEVOIR MORAL. Si vous manquez à ce devoir, vous vous comportez comme une personne immorale, et rien de ce que vous pourriez faire pour aider les autres n’excusera votre échec. Pire encore : tant que vous n’aurez pas mis vos propres affaires en ordre, vous ne serez pas capable d’aider efficacement les autres non plus.

5 L’activisme ne peut pas marcher

Comme principe de changement social, l’activisme ne peut rien accomplir de bon. Notez bien que je ne dis pas qu’il ne peut rien accomplir — il y a beaucoup de choses que l’activisme peut accomplir et a accomplies. Je dis qu’à long terme, il ne peut rien accomplir de bon. Comme l’a noté Mencius Moldbug, l’activisme est l’outil parfait pour les étatistes, qu’ils se nomment « progressistes », « collectivistes », « socialistes », ou avec moins de principes « conservateurs », ou même « islamistes » — quelle que soit la saveur favorite du jour et de l’endroit. Et avec cet outil, les étatistes ont réussi à prendre le pouvoir, à opprimer les gens, à faire taire les dissidents, à maintenir leurs victimes sous contrôle. Car au fond, toutes les manifestations de masse sont de l’intimidation ; elles sont des démonstrations de force ; elles sont la menace implicite « regardez comme nous sommes forts, regardez ce que nous pouvons faire en toute impunité ; ne vous opposez pas à nous, sinon quoi… !

C’est pourquoi les manifestations en faveur du libre marché ou du respect du droit et de l’ordre sont si pathétiques : voilà des gens qui ne menacent pas de violence, qui promettent de respecter la loi quoi qu’il se passe, qui ne jettent pas de détritus, ne vandalisent pas, ne perturbent pas, ne détruisent pas, ne blessent pas, n’insultent pas, ne diffament pas — des gens qui non seulement ne démontrent pas leur capacité à violer impunément le droit, mais qui, au contraire, démontrent qu’ils sont des bêtes de ferme bien obéissantes, qui marcheront toujours en file bien ordonnée vers l’abattoir, quoiqu’ils expriment un refus catégorique d’y courir. Ces gens-là ne valent absolument rien comme force politique. Ils peuvent posséder une inertie qui ralentira l’État, mais comme ils abdiquent la possibilité de jamais se défendre, ils sont lentement mais sûrement conduits vers l’abîme, un coup de crosse à la fois ; les étatistes auront parfois du mal à faire bouger cette masse, mais ils ont la main haute et l’initiative, et ont tout loisir de choisir où quand et comment porter leur prochain coup. Une guerre purement défensive ne peut jamais être gagnée, elle ne peut qu’être perdue. Et c’est tout ce que l’« opposition » légale au pouvoir peut réaliser, au mieux.

Les fondamentalistes religieux, les nationalistes et autres fous qui sont toujours prêts à la violence — ils comptent, politiquement, en utilisant l’activisme pour afficher et utiliser leur force ; et c’est ainsi qu’ils gagnent leur part du Mal qu’inflige l’état. Ils ne sont bien sûr pas aussi systématiques dans le Mal que ceux qui vénèrent l’état en soi : les « progressistes », les « socialistes », etc. Pour ces derniers et toutes sortes d’étatistes, l’activisme peut marcher à merveille — et c’est souvent le cas.

Mais pour les libéraux, l’activisme est d’une utilité limitée. Lorsqu’ils sont une petite minorité, c’est une démonstration ridicule de faiblesse plutôt que de force ; lorsqu’ils sont la majorité, c’est une activité contre-productive, contraire à tout ce qu’ils défendent. Manifester en petit nombre pour dire à vos agresseurs que vous respectez le Principe de Non-Agression a une valeur politique négative. C’est encore pire lorsque votre message est qu’en outre, vous ne riposterez pas du tout à leur violence.

6 Les ressources en jeu

Une équation importante ici concerne les ressources en jeu : l’activisme nourrit-il la cause qu’il prétend défendre, ou épuise-t-il les rares ressources disponibles pour cette cause ?

Il est fort clair que le premier effet direct de l’activisme est de dépenser ces ressources : le temps, la concentration, l’énergie des activistes sont dépensés pour faire ce qu’ils font. Il faut se garder de ne jamais, au grand jamais, compter ces ressources positivement dans son bilan. Comme tous les efforts déployés pour atteindre un objectif, elles font partie des coûts de l’équation.

Si vous excitez un million de personnes pendant une heure chacune en faveur d’une cause quelconque, vous venez de gaspiller un million d’heures de vie humaine. C’est cent quatorze années de vie éveillée. Trois vies humaines, perdues. Et quels résultats pouvez-vous montrer en échange ? Si chacune de ces personnes, au lieu de s’exciter pendant une heure, avait pu être productive pendant cette heure, et avait donné cinq euros chacune, — ce qu’elle pourrait facilement gagner en une heure en comptant impôts et frais de subsistance — cela ferait cinq millions d’euros. Est-ce que capter l’attention d’un million de personnes pendant une heure valait la peine de dépenser cinq millions d’euros ? Lorsque ce n’est pas le cas, et ce l’est rarement, il est désolant de voir des millions de personnes s’enthousiasmer pendant des jours pour une question d’un demi-million d’euros, et ne rien faire pour des questions plus importantes auxquelles leur énergie individuelle et collective pourrait s’attaquer.

C’est pourquoi je suis toujours si triste de voir tout l’activisme déployé avec succès à des fins insignifiantes, inutiles ou carrément nuisibles : c’est un énorme gaspillage, un coût d’opportunité pour des réalisations plus importantes qui ne le seront jamais.

N’êtes-vous pas dégoûtés lorsque vous êtes témoin d’une frénésie à la télévision ou sur Internet, avec plein de manifestants et de hash-taggers qui crient et s’indignent, alors que le problème aurait pu être résolu rapidement et efficacement si seulement chacune de ces personnes « indignées » avait plutôt fait un don de quelques euros ? L’impact des dons pourrait souvent facilement submerger le problème auquel on consacre du temps. Et dans les cas où donner de l’argent ne fonctionne pas, ce n’est pas comme si le fait de passer du temps mental sur le problème aidait, non plus. Mais, la plupart des gens ne se soucient pas de faire des dons. Ils ne s’indignent pas comme un moyen de résoudre les problèmes, mais comme un moyen de signaler une affiliation tribale. S’il vous plaît, ne soyez pas comme ces gens-là. Ne dépensez pas votre énergie à vous indigner pour signaler votre appartenance à une quelconque tribu de losers.

Et donc, veillez toujours comptabiliser dans la colonne « coût » toutes les ressources consacrées à l’activisme, tout le temps, l’argent, l’énergie, la concentration qui y sont déversés. Tout le capital de bonne volonté puisé auprès des non-activistes que nous convaincons de soutenir nos causes. Ce sont tous des dépenses. Quelles sont les recettes ?

Notez bien que je ne dis pas que l’activisme ne peut jamais, au grand jamais être utilisé pour servir une bonne cause. Je ne parle pas contre toute action politique qui peut possiblement être entreprise. Plus tard, je parlerai même positivement (si vous pouvez le croire) du Free State Project. Mais je veux que vous fassiez attention à toujours compter l’activisme du côté négatif de votre bilan. C’est comme payer des impôts : si parfois quelque chose de bon en ressort, la plupart du temps les impôts servent à acheter davantage de mal plutôt que davantage de bien ; et quel que soit le bien que vous obtenez en échange, le fait de payer en soi est toujours le côté négatif. Parfois, quelque chose de bon peut ressortir d’un certain activisme — et là, vous avez le choix de le financer ou de ne pas le financer. Mais l’activisme en tant que tel fait partie des coûts pour atteindre l’effet.

7 Ce que l’activisme achète

Les étatistes qui s’emparent du pouvoir par le biais de l’activisme ont certainement beaucoup à montrer dans la colonne « recettes » de leur bilan. Des palais, des manoirs, des bateaux, des avions, des fêtes somptueuses, de l’alcool et des putes de luxe, des voyages vers des destinations magnifiques, beaucoup de sexe et d’argent, et le goût si doux et étourdissant du pouvoir sur les autres. Ils dépensent en effet beaucoup de ressources, mais soyez assurés que les plus puissants d’entre eux y gagnent énormément, bien que les moutons ayant subi un lavage de cerveau aux échelons inférieurs de la machine soient tous des perdants nets. Le pouvoir politique est une industrie bien organisée qui rapporte beaucoup d’argent à ses actionnaires et à ses prospères entrepreneurs.

Mais le butin de guerre est précisément ce que les libéraux ne peuvent pas obtenir lorsqu’ils accèdent au pouvoir. Par définition, la totalité ou la plupart de ces avantages sont à tout jamais fermés aux libéraux, qui considèrent leur valeur comme négative alors que les étatistes la considèrent comme positive. Par conséquent, quel que soit son succès, l’activisme ne pourra jamais profiter aux libéraux autant qu’aux étatistes qui deviennent puissants, et de loin.

Et pourtant, il y a un résultat nécessaire à tout activisme couronné de succès, qu’il soit libéral, anti-libéral, ou sans rapport. Ce qui résulte nécessairement du succès de tout activisme, c’est la légitimité et l’opportunité d’utiliser l’activisme comme un moyen d’atteindre une fin. Pour dire la chose clairement dans un exemple extrême : si vous réussissez à renverser le gouvernement par une révolution violente, vous pouvez ou non mettre en place un gouvernement meilleur que le précédent — mais un cas comment dans l’autre, vous avez légitimé la violence comme moyen de prendre le pouvoir, et cela n’augure rien de bon pour l’avenir. L’activisme, même s’il n’a pas besoin d’être aussi violent, est intrinsèquement conflictuel ; c’est une lutte — un jeu à somme négative. Et si l’échec de l’activisme est une somme négative en vain, le succès de l’activisme implique d’autres jeux à somme négative dans l’avenir. L’activisme engendre le conflit, et c’est mal.

Comme le dit mon ami Jan Krepelka : « l’activisme est plus populaire parce qu’il est conflictuel » Il met en œuvre des voies neuronales qui donnent un sens instantané à votre vie — le problème étant que ces voies neuronales optimisées pour la survie à court terme au milieu d’une lutte immédiate sont de piètres guides pour construire votre vie à long terme. Pire encore, ajouterait-il : lorsque vous tombez dans l’activisme, vous devenez un esprit (qui tient ses opinions) de seconde main (pour reprendre le terme randien), vivant à travers ce que les autres voient, et vous souciant plus de l’apparence de la victoire que de la victoire réelle. L’activisme est tribal : une fois acceptée sa problématique, le succès signifie battre vos rivaux (les mâles alpha qui se disputent la chefferie de la tribu) et gagner un statut social (au sein de la hiérarchie tribale), le tout dans un contexte tribal de lutte pour des ressources limitées dans un jeu à somme nulle. Mais le capitalisme et la mondialisation ont précisément provoqué la rupture de millénaires de ces jeux tribaux à somme nulle, et le passage à la civilisation, en mettant fin aux limitations tribales et en introduisant un jeu à somme positive : produire des richesses au lieu de se battre pour des richesses. Ce n’est pas aussi séduisant que la politique en termes de psychologie tribale ; cela ne vous prend pas aux tripes comme l’activisme, ce n’est pas aussi primitif que la rivalité tribale, aussi primaire que la guerre intertribale — mais c’est le Bien ; c’est ce qui distingue l’homme civilisé de la brute et de l’animal.

8 Bonne volonté

Il y a une ressource très-importante qui est en jeu dans l’activisme : la bonne volonté des gens, leurs opinions envers votre cause. En appelant les gens à agir, dépensez-vous cette ressource ou en produisez-vous davantage ? Il est évident que la mobilisation des gens dépense les ressources rares de bonne volonté. En tant que tel, l’activisme ne produit pas davantage de bonne volonté — il dépense la bonne volonté existante.

Parfois, c’est exactement ce que vous devez faire. Parfois, il est temps de se battre, et de montrer sa force ; pensez au ranch Bundy. Un affrontement armé contre les forces gouvernementales les a fait reculer, momentanément. Plus tard, elles reviendront avec des prétextes légèrement différents qui ne déclencheront pas autant d’attention. Amener les bureaucrates à battre en retraite et à échouer dans leur activisme, c’est la bonne partie ; avoir à mobiliser des milliers de personnes, c’est la mauvaise partie ; et échouer à mobiliser les mêmes milliers de personnes lorsque le gouvernement revient avec une loi différente, c’est leur montrer de quelle manière tordue ils doivent formuler la loi pour mener leurs affaires criminelles et de quelle manière ils ne doivent pas le faire. Ainsi, si la lutte est parfois utile à court terme, à long terme, c’est un jeu que les libéraux perdent par définition.

À long terme, ce que vous voulez n’est pas de l’activisme, mais le contraire : du Marketing. Non pas dépenser les ressources de bonne volonté dans des actions contre le gouvernement. Mais créer de nouvelles bonnes volontés vers les idées libérales, par l’éducation.

Maintenant, l’activisme peut parfois jouer un rôle positif — mais ce n’est pas automatique. Considérons par exemple la campagne électorale de Ron Paul pour la présidence en 2011. Du point de vue de l’activisme, ce fut un désastre total : il a détruit beaucoup de ressources de bonne volonté, pour finalement ne démontrer que sa faiblesse et son incapacité à s’emparer du pouvoir. Mais du point de vue du marketing pour les idées libérales, ce fut fantastique : cette campagne a aidé à diffuser nos idées, et à en faire prendre conscience beaucoup de gens. Elle a clairement montré comment l’Establishment trichera pour maintenir son emprise sur le pouvoir ; comment les règles sont faites pour être opposées aux petites gens pour les empêcher d’accéder au Pouvoir, alors que les Grands de ce monde peuvent les violer sans crainte de conséquence fâcheuse. Il m’est difficile de dire si c’était ou non la meilleure façon de dépenser toutes ces ressources, mais au moins, il est résulté quelque chose de cette dépense de ressources. C’était plutôt bien comme campagne de marketing pour les idées libérales.

Si vous faites campagne non pas pour utiliser votre capital de pouvoir, mais pour l’étendre, c’est là que vous faites du bien. Mais la partie qui fonctionne n’est pas l’activisme en tant que tel, c’est le marketing. L’activisme peut être un outil de marketing. Mais est-ce le meilleur ? Rarement. Il existe généralement des moyens plus directs de faire du marketing. Et si l’activisme peut parfois servir le marketing et générer davantage de bonne volonté, il puise d’abord et avant tout dans la bonne volonté existante. Ne l’utilisez donc pas à la légère.

9 Efficacité

Harry Browne, dans How I Found Freedom In An Unfree World (« Comment j’ai trouvé la liberté dans un monde qui n’est pas libre ») introduit le concept des Solutions Directes par opposition à aux Solutions Indirectes. Une solution directe est quelque chose que vous pouvez faire, qui ne dépend pas de la bonne volonté, encore inexistante, d’autrui ; une solution indirecte est quelque chose qui ne se produira pas tant que vous n’aurez pas convaincu autrui de changer d’avis. L’activisme consiste entièrement à utiliser des moyens indirects pour atteindre certains objectifs, en exigeant que les choses que vous ne pouvez pas faire vous-même soient faites par d’autres personnes, que vous n’avez pas le pouvoir de changer. L’activisme c’est l’impuissance. Le passivisme consiste entièrement en l’utilisation de moyens directs d’atteindre vos objectifs, en faisant vous-même les choses, sans requérir de changement de la part d’autrui. Le passivisme, c’est l’efficacité. Les moyens indirects sont nécessairement moins efficaces. Vous devez toujours vous concentrer sur les choses que vous pouvez changer vous-même, ce que Harry Browne appelle une solution directe. Ce n’est pas seulement plus efficace, c’est aussi plus valorisant sur le plan personnel. Finie la frustration de voir les autres ne pas faire ce que vous voulez, place au pouvoir et à la satisfaction de réaliser les choses que vous pouvez faire.

Ensuite, parmi les choses que vous pouvez faire, certaines sont un horrible gaspillage, et vous devriez les éviter. Les gauchistes aiment partir en vacances via des programmes de « solidarité » et autres « services volontaires » dont le fonctionnement coûte des milliers d’euros par participant. En donnant le même argent à une organisation caritative locale, on aurait pu obtenir dix fois plus d’effets pour un dixième du coût. Ainsi, ces programmes de solidarité n’ont pas du tout pour but d’aider les pauvres, mais de permettre aux riches gauchistes de se sentir gentils et de signaler à la fois leur richesse et leur engagement envers l’Establishment gauchiste. Ne soyez pas cet homme. S’il faut faire de l’activisme, soyez l’homme qui donne à l’organisation caritative efficace qui fait davantage de choses à bas prix. Si vous devez aider, apportez des compétences utiles que les locaux ne possèdent pas et que vous pouvez leur enseigner — ne soyez pas simplement un ouvrier non qualifié qui mange leur nourriture, ou un luxe qu’ils ne peuvent plus se permettre une fois que vous êtes rentré chez vous.

Je ne suis pas un grand donateur aux charités. Mais chaque année, je donne quelques milliers d’euros à des organisations caritatives sélectionnées. L’année dernière, une partie de ces milliers d’euros a été envoyée à une association basée en Corée du Sud, LiNK, qui a ainsi aidé à sauver une femme nord-coréenne, qui avait fui son pays pour se rendre en Chine, mais qui y vivait comme une « immigrée sans papiers » fuyant les autorités. Si elle avait été attrapée, elle aurait été renvoyée en Corée du Nord où elle risquait d’être violée, torturée et tuée. Pendant ce temps, elle survivait comme esclave dans des emplois clandestins. Cela valait-il la peine de débourser quelques milliers d’euros pour la sauver ? Je pense que oui. Était-ce la meilleure utilisation de ces milliers d’euros ? Voilà qui est sujet à discussion, mais cela valait sans conteste bien mieux que de dépenser ces mêmes milliers d’euros en billets d’avion et en hôtels pour aller faire de l’« activisme » et protester contre l’injustice devant l’ambassade de Corée du Nord ou de Chine.

10 Les amateurs ne sont pas efficaces

Et donc, soyez efficaces, adoptez la division du travail. Si vous voyez qu’un certain activisme est nécessaire, ou bien soyez le meilleur au monde pour le faire, ou bien payez des professionnels pour le faire à votre place. Si vous voulez promouvoir les idées de liberté, donnez à l’Atlas Network, à l’institut CATO, à l’Institut Mises, etc., selon celui qui vous semble faire le meilleur travail.

Si vous voulez vraiment être un activiste, alors oui, vous devez devenir le meilleur au monde dans votre domaine, et vous devez devenir professionnel. Si les effets que vous recherchez ne peuvent pas être obtenus plus efficacement par un professionnel qui y consacre sa vie, alors ils n’en valent pas la peine et ne peuvent pas réussir. Vous avez peut-être entendu cette sentence du célèbre animateur radio libéral H. L. Hunt : « Si ce pays vaut la peine d’être sauvé, il vaut la peine d’être sauvé à profit. » Eh bien, elle a été judicieusement complétée par Patri Friedman : « Ce pays ne peut être sauvé que s’il peut être sauvé à profit. »

Et donc, si vous ne pouvez pas vivre de l’activisme, vous êtes un amateur. C’est très bien d’être un amateur, et de vous livrer à une activité que vous aimez comme un passe-temps qui vous procure du plaisir. Mais alors si vous le faites pour le plaisir, dites-vous bien que vous le faites pour vous-même, en vous offrant du bon temps personnel, même si cela peut être inefficace par ailleurs. Et puis, n’allez pas dire aux autres que vous vous « sacrifiez ». Si vous vous sacrifiez, vous êtes un idiot, et vous êtes moralement répugnant. Rappelez-vous les sages paroles de Tante Ayn : « Je jure, par ma vie et l’amour que je lui porte, que je ne vivrai jamais pour un autre homme, ni ne demanderai à un autre homme de vivre pour moi. » Mais si vous voulez être efficace, alors travaillez quelques heures supplémentaires, acquérez de nouvelles compétences pour obtenir un emploi mieux rémunéré, et faites un chèque aux professionnels avec le produit de leur vente.

11 Construire la bonne volonté

Si vous voulez faire avancer la cause de la liberté, pensez à diffuser le message de la liberté. Cela signifie donc, ne soyez pas conflictuel — soyez amical.

Considérons par l’exemple les spécialistes de l’activisme de confrontation : l’Église baptiste de Westboro. Leur activisme convainc-il quiconque ? Non, il ne fait que les rendre universellement détestables.

Comparez avec des gens qui comprennent bien le marketing religieux : Les mormons, les témoins de Jéhovah, etc. — ce qu’ils font marche. Ils viennent en couple ou en groupe, trouvent personnellement des personnes qui résonnent avec leur message. Ils les convainquent, puis les envoient convaincre d’autres personnes en un marketing viral. Bien sûr, dans le cas des Témoins de Jéhovah, le message viral est « Hé, je suis un loser qui a découvert que je pouvais me sentir supérieur à tous les autres en entrant dans cette communauté de soutien pour les personnes qui ne peuvent pas autrement trouver de sens à leur vie ». Mais dans le cas des Mormons, c’est plutôt « Hé, nous nous disciplinons les uns les autres pour vivre une vie saine, avoir une bonne apparence, etc. et au prix de superstitions stupides pas pires que dans les autres religions, vous aussi pouvez faire partie d’un groupe de soutien sain. » Donc si vous voulez faire avancer la cause de la liberté — trouvez comment vous pouvez la transformer en un message viral qui répond aux besoins des gens, puis les transforme en davantage de partisans de la liberté.

Notez cependant que toute campagne de marketing doit être ciblée sur un public réceptif. Les mêmes méthodes et arguments qui convainquent un public donné échoueront lamentablement sur un autre public. Les libéraux ont tendance à avoir des arguments assez puissants pour ceux qui sont déjà intéressés par la politique et qui abordent le sujet avec un esprit mû par des arguments rationnels, en termes de causes et d’effets. C’est déjà pas mal, mais cela reste une petite fraction du public. Des messages différents, adaptés à des publics différents, sont nécessaires. Une interaction individuelle est nécessaire pour adapter le message. (Et, si nous devons imiter les sectes virales qui marchent, l’interaction deux à deux est encore plus efficace). Si l’on en croit la typologie des caractères psychologiques de Myers-Briggs, la majorité des gens sont avant tout sensibles à l’appel à l’autorité (SJ dans MBTI), et nous devons expliquer comment nos idées sont soutenues par de grands hommes et constituent le tissu même de la civilisation ; ils seront très probablement les derniers à être convaincus, lorsque suffisamment de contre-« autorités » se seront élevées pour remettre en question les autorités établies. Une grande majorité du reste de la population est avant tout sensible à la démonstration par l’exemple (SP dans le MBTI), et nous suivra volontiers si nous ouvrons la voie et montrons comment la liberté fonctionne — et c’est le cas ; ils sont donc une cible naturelle pour les libéraux, et c’est pourquoi les autorités établies font de leur mieux pour empêcher toute expérience libérale ostensible qui pourrait les influencer. Viennent ensuite les personnes sensibles avant tout à l’appel à l’émotion (NF dans le MBTI), et nous devons leur montrer que notre voie est celle de la vraie justice et de la compassion ; mais elles sont facilement attirées par la propagande socialiste et difficiles à convaincre de ce à quoi elles n’ont pas été rationnellement convaincues. Seule une petite minorité de personnes est avant tout sensible aux arguments rationnels en termes de causes et de conséquences (NT dans le MBTI) comme la plupart des ouvrages libéraux sont construits — et ceux qui souhaitent être convaincus l’ont probablement déjà été, ou sont déjà pris en charge. La prochaine grande audience pour les libertariens semble donc être les personnes à qui l’on peut montrer que la liberté fonctionne ; et là encore, réussir et incarner soi-même le fonctionnement de la liberté est la meilleure chose que vous puissiez faire pour faire avancer les idées de liberté.

C’est aussi pourquoi je crois que le passivisme est important : le passivisme, c’est trouver ce que la liberté peut apporter à chacun d’entre nous. C’est récolter les bénéfices d’une vie libre, et faire que vos idées valent la peine pour vous, et donc pour tous ceux qui les adopteraient.

12 Les bases du passivisme

Le premier principe du passivisme : vous devez d’abord vous concentrer sur votre propre vie. Même si votre objectif final est de vaincre cet Ennemi qui détruit votre liberté et celle des autres, comme n’importe quel professeur d’arts martiaux vous le dira, avant d’avoir la moindre chance de contrôler les mouvements de l’adversaire, vous devez d’abord apprendre à contrôler les vôtres. Avez-vous le meilleur emploi que vous puissiez avoir ? J’ai des amis qui disent que si vous possédez la tournure d’esprit suffisante pour être productif dans la programmation informatique et que vous gagnez moins de 100 000 euros par an, vous devriez certainement changer de carrière. Cela ne signifie pas nécessairement que vous dussiez tous écrire des logiciels, mais que vous devriez tous chercher le moyen le plus productif de passer votre vie, qui ne rapportera donc pas moins que cette opportunité-là parmi d’autres sans doute.

N’êtes-vous pas heureux en ménage ? Il y a beaucoup d’hommes célibataires (et quelques femmes célibataires) aux conférences libérales. Au lieu de passer trop de temps dans l’activisme, vous pourriez faire beaucoup plus pour la liberté en apprenant les bases de la séduction et des rapports de couple sains, en vous trouvant un gentil compagnon ou une gentille compagne, et en ayant des enfants que vous élèverez pour qu’ils vivent comme des personnes libres et responsables.

Êtes-vous en mauvaise forme physique ? En acquérant de la discipline, en mangeant plus sainement, en faisant de l’exercice, vous pouvez vivre plus longtemps et en meilleure santé, et avoir plus de ressources à consacrer à la promotion de la liberté ou à toute autre cause de votre choix.

Êtes-vous prisonnier de superstitions, de peurs, de névroses, de mauvaises relations, etc.? En travaillant à vous libérer des croyances négatives, des relations personnelles négatives, etc., vous pouvez aussi faire plus pour la liberté que par l’activisme.

Mettre de l’ordre dans votre vie devrait être votre toute première priorité. Et si vous devez faire de l’activisme par la suite, vous n’en serez que plus efficace : vous convaincrez plus de gens de suivre votre exemple si vous êtes en bonne santé et avez réussi que si vous êtes un perdant frustré.

Remarquez que ce n’est pas la motivation qui vous mènera pas au succès. C’est la discipline. Les progrès sont nécessairement lents et ne donnent des résultats que s’ils sont constants pendant une longue période. Essayer de se motiver en promettant constamment des résultats ne peut que vous démotiver, quand les faux espoirs jamais ne se concrétisent. Apprendre à prendre plaisir à faire les choses positives parce que vous les avez déterminées être telles, quel que soit le plaisir que vous éprouvez à les faire, même en l’absence de motivation ou d’inspiration, est ce qui vous permettra d’obtenir des résultats au bout du compte. Une fois de plus, les mormons l’ont bien compris : on dit d’eux qu’« ils ne sont pas une religion, mais un réseau de vente multiniveau » ; le maintien de la discipline dans tous les aspects de la vie fait partie de la culture qu’ils s’imposent les uns aux autres ; cela contribue à leur réussite personnelle ; et la réussite personnelle leur permet à son tour de réussir à commercialiser leur style de vie. De même, les bouddhistes tibétains, qui ont maîtrisé l’art de vider son esprit de ses préoccupations immédiates pour le remplir à nouveau de votre propre choix de valeurs à long terme, peuvent vous enseigner l’art de ce qu’ils appellent « l’auto-compassion ».

En d’autres termes, le B.A.-BA du Passivisme consiste à appliquer le proverbe latin : Medice cura te ipsum — Docteur, commence par te soigner toi-même.

13 Voter avec ses pieds

Une action importante que vous pouvez entreprendre pour vous-même, c’est de déménager vers de meilleurs cieux. Et bien sûr, voilà qui est très pertinent pour cette conférence. Devriez-vous émigrer vers le New Hampshire ? Il y a des avantages et des inconvénients ; et le Free State Project fait un excellent travail pour peser parmi les avantages. — Mais que ce soit vers le New Hampshire ou non, vous devez assurément envisager de déménager vers l’endroit qui vous conviendra le mieux. Voter avec vos pieds est la chose la plus conséquente que vous puissiez faire. Le vote le plus important que vous puissiez faire. Bien plus efficace pour améliorer votre vie et celle de ceux que vous aimez que de voter avec vos bulletins de vote ou vos balles de plomb.

J’ai moi-même quitté la France pour m’installer aux États-Unis. Je ne vis pas dans le New Hampshire. En fait, je me considère comme faisant partie du « Unfree State Project » : J’ai déménagé du Massachusetts à New York. Les impôts n’étaient pas assez lourds et les lois sur les armes à feu étaient trop laxistes. Plus sérieusement, j’ai déménagé là-bas pour avoir un excellent emploi, tandis que ma femme fréquente une excellente école ; mais je suis prêt à déménager à nouveau si et quand les choses changeront.

Le New Hampshire n’est pas un mauvais endroit pour le Passivisme. Ici, les gens et les lois sont plus libéraux que dans la plupart des autres endroits. Cela compte pour quelque chose. Mais ça ne compte pas pour tout. C’est un avantage certain, mais il y a aussi des inconvénients. Pouvez-vous trouver un emploi que vous aimez ici ? Si vous devez perdre des revenus, cela compte aussi. Vous ne supportez pas le climat, la nourriture ou le manque de vie culturelle là-bas ? Cela compte aussi. Déterminez quel est le meilleur endroit pour vous. Le New Hampshire a beaucoup d’atouts et le Free State Project s’efforce d’en faire un endroit encore meilleur. Cela demande un peu d’activisme — mais avec un peu de chance, le résultat est que vous pouvez en récolter des bénéfices et profiter du passivisme. Par conséquent, veuillez ne pas vous installer dans le New Hampshire parce qu’il y a beaucoup d’activisme à y faire. Au contraire, déménagez dans le New Hampshire parce qu’il y a moins d’activisme négatif à y faire pour obtenir les effets positifs que vous recherchez pour vous et ceux que vous aimez.

14 Objectifs et non-objectifs du passivisme

Un grand non-objectif du passivisme : Combattre l’Etat. Vous ne pouvez pas gagner. Par définition, l’État est quiconque est le meilleur à l’usage de la violence. Si d’une manière ou d’une autre, par la ruse et par la force, vous gagniez, vous seriez devenu Lui, l’Ennemi. Un grand objectif du passivisme : survivre à l’État. Les Russes, les Chinois, les peuples de tant de pays détruits... ceux qui ont survécu au communisme ont atteint leur but ; ceux qui se sont battus et sont morts ont échoué. Parfois, il faut fuir ; parfois il faut savoir quand arrêter de se battre. Mais toujours, ce but signifie éviter tout un assaut frontal contre l’État ; car un assaut frontal consiste à l’affronter là où il est le meilleur : la violence.

Un autre non-objectif du passivisme : sauver les pauvres. « Les pauvres ne cessent de s’appauvrir », déplorent les socialistes. Cela arrive à certains, mais pas principalement parce qu’ils sont opprimés par d’autres personnes, y compris par l’État. Ils sont surtout et avant tout opprimés par eux-mêmes, par leurs mauvaises habitudes. La meilleure chose à faire pour aider les pauvres est de montrer l’exemple. Brisez vos propres mauvaises habitudes et cultivez de meilleures habitudes. Périclès prononça cette phrase célèbre : « Chez nous, il n’est pas honteux d’avouer sa pauvreté ; il l’est bien davantage de ne pas s’efforcer à y échapper. » Un objectif explicite du passivisme est donc plutôt : se sauver de la pauvreté. Développez les compétences nécessaires à l’acquisition de la richesse ; une fois que vous aurez cette richesse, vous pourrez la partager et enseigner vos compétences à d’autres personnes. Mais surtout, faites-le et montrez le chemin. « Le monde est changé par votre exemple, pas par votre opinion. » — Paulo Coelho

Un objectif général du passivisme : au lieu de se concentrer sur la destruction, se concentrer sur la création. Les partisans de la destruction prétendent toujours qu’ils détruisent le mal, mais nous ne tombons pas dans ce panneau, et savons que bien qu’il y ait des exceptions, en général, la destruction est mauvaise en elle-même. De même, le plus souvent la création est bonne en elle-même, surtout si elle n’est pas basée sur la destruction passée ou future de la propriété d’autrui. Essayez de jouer moins de jeux à somme négative et à plus de jeux à somme positive.

15 Réalité

Ayn Rand a fameusement déclaré comme elle aimait la célèbre prière de la sérénité — celle adoptée par les Alcooliques Anonymes :

Mon Dieu, accorde-moi
la sérénité d’accepter les choses que je ne peux changer,
le courage de changer les choses que je peux,
et la sagesse d’en connaître la différence.

Sa réserve légitime était qu’elle détestait la partie prière elle-même, la première ligne ; car, comme Ambrose Bierce l’a défini dans son Dictionnaire du diable : « Prier : [c’est] Demander que les lois de l’univers soient annulées en faveur d’un seul pétitionnaire qui s’en avoue indigne. »

Le passivisme repose sur la prise de conscience que la principale chose que vous devez changer est vous-même. Et pour la réussite du passivisme, comme de toute chose, vous avez besoin de ces trois vertus : sérénité, courage et sagesse.

Une bonne histoire sur le Passivisme et la sagesse est donc celle des Trois portes de la sagesse, que j’ai incluse en annexe.

Alors que vous vous efforcez de vous améliorer, vous devez également avoir la sagesse et la sérénité d’apprendre et d’accepter votre moi profond et véritable, que vous ne pouvez pas changer, ne voulez pas changer, ne devez pas tenter de changer. Et avant d’améliorer les autres et le monde, vous devrez de la même manière apprendre et accepter ces autres personnes, et le monde en général. En d’autres termes, vous devez apprendre ce qu’est la réalité, et ce qu’elle sera toujours, avant de pouvoir améliorer les choses qui sont mais ne sont pas nécessaires.

Cela implique le passage d’un point de vue normatif à un point de vue positif : avant de déterminer comment les choses devraient être, il faut découvrir comment elles sont.

Le passivisme peut donc consister à se changer soi-même plutôt que de chercher à changer les autres, ou le monde. Mais avant de pouvoir vous changer, vous devez vous accepter vous-même — accepter les autres, accepter le monde. D’abord, vous devez trouver la sérénité d’accepter les choses que vous ne pouvez pas changer, et la sagesse de les distinguer des choses que vous pouvez, — ce n’est qu’alors que vous pourrez mettre en œuvre un changement efficace, si vous en avez le courage.

16 Technologies libératrices

Comprendre comment influencer le monde, sans dépendre d’un changement des êtres humains — cette activité a un nom, et ce nom c’est : la technologie. Et donc, si vous voulez améliorer les choses pour vous et pour les autres, vous devez apprendre à maîtriser quelque aspect de la technologie.

Quand je dis « technologie », vous pensez peut-être immédiatement à l’électronique, à la biotechnologie, à la robotique, à la science des matériaux, etc. Et ce sont effectivement des technologies. Mais j’utilise ce mot dans son sens le plus large. La finance, le marketing, le droit, la gestion, etc., sont aussi des technologies. Même l’art de la drague est une technologie, si c’est celle dont vous avez besoin. Ce n’est pas parce que des personnes sont impliquées qu’il s’agit de Solutions Indirectes, car ces technologies ne dépendent pas de la coopération de ces personnes contre leur gré, mais de leur libre coopération au sein de leur intérêt individuel bien compris.

Même les « techniques d’interrogatoire renforcées » peuvent être raisonnablement considérées comme des technologies. Aussi, de toute évidence, toutes les technologies ne sont pas aussi aptes que les autres à conduire à davantage de liberté. Vous devez toujours choisir soigneusement une technologie qui fera progresser vos valeurs. Je reviendrai sur ce point. Mais en première approximation, toute technologie qui améliore votre situation tout en respectant la vie et la propriété d’autrui est digne d’être poursuivie, et améliore la liberté dans le monde, à commencer par la vôtre.

Il faut de l’entraînement et de l’exercice pour acquérir des compétences techniques, mais si vous avez la discipline de vous exercer encore et encore, vous ne deviendrez pas plus mauvais que d’autres personnes moins intelligentes qui gagnent leur vie en les appliquant. Choisissez donc un domaine qui vous semble important pour vous et pour le monde, apprenez-en la technologie et ayez un impact positif.

Apprendre des compétences monnayables, trouver un bon emploi, être bon dans votre domaine, gagner de l’argent, c’est déjà la chose la plus utile que vous puissiez faire pour faire progresser la liberté. Dans son article « Travailler et épargner sont des actes révolutionnaires », Pierre Rochard argumente exactement cela, mieux que je ne pourrais le faire. Bien sûr, une fois que vous gagnez bien votre vie, n’oubliez pas de dépenser une partie de vos revenus pour payer des professionnels à faire les choses que vous pensez importantes et que vous voulez qui soient faites mais que vous ne pouvez pas faire efficacement vous-même. Mais le simple fait de faire progresser la richesse du monde, en soi, déplace les jeux à somme négative de l’État, et les remplace par les jeux à somme positive du Libre Échange. Cela rend le monde plus libre et constitue une récompense en soi, même si vous ne donnez pas d’argent à qui que ce soit, parce que vous pensez savoir comment le dépenser au mieux pour tout ce qui vous tient à cœur.

17 L’esprit pionnier de la technologie

La technologie nous informe de l’étendue et des limites de ce que nous pouvons faire. Il y a des choses que nous pouvons faire, et la technologie nous dit comment les faire, alors que nous serions autrement impuissants. Il y a des choses que nous ne pouvons pas faire, et la technologie nous informe des limites des choses que nous pouvons faire. Enfin, il y a des choses que nous ne pouvons pas encore faire, mais que nous pensons pouvoir réaliser si nous parvenons à améliorer notre compréhension et à développer de nouvelles techniques.

Ainsi, si vous voulez aller faire avancer la liberté au-delà de ce que permet la technologie existante, vous devez créer de nouvelles technologies. Faites-le vous-même, si vous en êtes capable. Dites-vous qu’il n’est pas toujours nécessaire d’être un génie pour innover, mais qu’il faut être à la pointe de ce qui se fait et expérimenter inlassablement de nouvelles façons de faire. Mais même si la recherche et le développement technologiques ne sont pas faits pour vous, vous pouvez faire avancer la technologie en finançant d’autres personnes qui, selon votre meilleur jugement, sont capables de faire progresser la technologie qui vous intéresse. Investir dans la technologie est la meilleure chose que vous puissiez faire pour surpasser l’État. Alors, faites ce que vous savez faire le mieux, et investissez les bénéfices dans l’innovation.

En effet, l’évolution de la technologie détermine celle de la structure sociale et politique. Considérez comment les technologies à forte intensité de capital telles que l’équitation et l’épée ont nécessairement institué une caste de soldats professionnels comme classe dirigeante. Considérez comment l’arbalète les armes à feu légères ont tout aussi nécessairement déplacé l’équilibre militaire vers les démocraties. Considérez comment la technologie récente semble n’avoir déplacé l’équilibre qu’un peu vers les armes à forte intensité de capital, et comment la classe dirigeante est déterminée à éliminer les armes à feu légères parmi les civils. La technologie façonne sans doute possible la structure politique. J’ai déjà évoqué la façon dont elle a libéré les femmes, ce qui a également eu un impact profond sur la structure sociale.

L’idée que « la structure de base détermine la superstructure » a été popularisée par Marx et ses disciples. Cela signifie-t-il que je répète une idée marxiste ? Non. Pas du tout. L’idée que la technologie influence la politique et fait pencher l’équilibre politique est aussi vieille que l’étude de l’histoire. Tout comme la lutte des classes, la fausse conscience et les autres tropes marxistes, les socialistes ont apporté leurs mots-clés, leurs slogans et leurs récits tordus, mais les concepts généraux existaient bien avant d’être corrompus puis diffusés sous une forme corrompue par les marxistes.

Alors, que faire si vous vous êtes libéré et que vous aspirez à un avenir où la politique ne vous écrase plus, vous et vos semblables ? Le but n’est pas de convaincre les étatistes que nous avons raison et qu’ils ont tort. Le but est de gagner. Le but est que les étatistes soient impuissants, et non qu’ils reconnaissent leur impuissance. De s’assurer qu’ils ne peuvent pas vous faire de mal, pas de les convaincre d’arrêter de vous faire du mal. L’idée de convaincre le maître que son intérêt est de ne plus être maître est ridicule. Son intérêt est de rester maître. Et par le levier de la force, c’est aussi l’intérêt des autres hommes que d’obéir et d’être complices pour vous forcer à obéir aussi. Si vous voulez gagner contre la politique, vous ne pouvez pas jouer le jeu de la politique et le gagner, vous devez changer le jeu. Et ça, c’est la technologie.

La technologie est la Frontière où se décide l’avenir de l’humanité, et où des pionniers font et défont les libertés.

18 Toutes les technologies ne sont pas égales

Sur la frontière technologique, toutes les technologies ne naissent égales les unes aux autres. Certaines font plus directement progresser la liberté. D’autres font plus directement progresser l’oppression. La plupart sont neutres, ou dépendent du contexte, et peuvent être utilisées dans un sens ou dans l’autre — mais si nous les développons dans un cadre pacifique (par opposition au cadre d’un programme d’oppression gouvernemental, par exemple), elles auront très probablement pour résultat plus de bien et moins de mal. C’est ainsi que de meilleures techniques de torture ou des meilleurs dispositifs de meurtre de masse sont susceptibles de faire progresser l’oppression. Mais un détecteur non invasif de mensonges et des armes de défense personnelle sont susceptibles de faire progresser la liberté. Les avancées médicales sont généralement neutres en matière de liberté, mais généralement utiles à l’humanité. La robotique ou la technologie de surveillance peuvent être bonnes ou mauvaises selon qu’elles sont utilisées par l’État pour contrôler les citoyens, ou par les citoyens pour se protéger des agressions, y compris celles effectuées par des représentants de l’État.

Il existe de nombreuses techniques qui visent spécifiquement à échapper au contrôle de l’État ; mais elles ne peuvent pas être rendues publiques sans devenir rapidement inefficaces. Et même gardées secrètes, elles deviennent quand même inefficaces après un certain temps, car l’État finit par les rattraper ; donc si vous commencez à les utiliser, vous devez continuer à les mettre à jour pour garder au moins une longueur d’avance sur l’État. Mais elles existent, et vous pourrez être amenés à travailler sur elles si vous avez l’intention de vivre une vie d’adversité et de « combattre » l’État. Cependant, cela revient à jouer à des jeux à somme négative, même si vous jouez du côté du « bien » pour réduire la destruction par les forces du mal. Pour développer la liberté, la plupart des gens devraient travailler sur des jeux à somme positive.

Ce qui nous amène à la question de savoir comment identifier les technologies qui contribuent le plus à accroître plutôt qu’à réduire la liberté.

Considérons les forces dites de l’ordre. Vous pouvez améliorer la liberté en augmentant la difficulté de réprimer des actes légitimes mais « illégaux » qui ne sont pas réellement des crimes, comme le commerce et l’utilisation de substances prohibées, d’informations secrètes ou monopolisées, etc. Cela pourrait se produire à travers des techniques qui améliorent la vie privée et l’anonymat des civils par le biais, par exemple, de réseaux cryptés et distribués. La technologie maléfique opposée, qui accroît la capacité de l’État à faire appliquer sa « législation » illégitime, est la surveillance et l’identification omniprésente de tous les civils comme dans le roman 1984. Vous pouvez également améliorer la liberté en augmentant la facilité à réprimer des actes illégitimes, qu’ils soient « légaux » ou pas. La « sous-veillance » répartie, les drones privés omniprésents, l’identification des crimes commis par les puissants, etc. La technologie maléfique opposée, qui augmente la capacité de l’État à commettre des meurtres en toute impunité, est le secret des procédures bureaucratiques, l’anonymisation des agents de l’État, etc. Comme vous le réalisez rapidement, des technologies identiques peuvent souvent être utilisées pour protéger les innocents et poursuivre les coupables, ou pour protéger les coupables et persécuter les innocents. Il est donc important de mettre la technologie dans les bonnes mains, et de faciliter son utilisation par les bons contre les méchants. Mais il apparaît également que le véritable progrès à long terme de la liberté repose sur la détermination de qui tiendra qui comptable de ses actes, selon quelles règles établies par qui.

Le vrai combat concerne toujours le pouvoir de décider les règles et de les appliquer. Ce pouvoir est-il Réparti entre les propriétaires légitimes des ressources respectives en jeu, ou est-il Centralisé entre les mains de quelques puissants ? À un extrême de la Centralisation, vous avez le pouvoir totalitaire de ceux qui prétendent mystiquement « représenter » des millions ou des milliards d’autres personnes. C’est la « Démocratie » avec un grand D. À l’autre extrême de la Décentralisation, vous avez l’idéal propriétariste où chacun est le maître arbitraire de sa propre propriété tout en restant respectueux de celle des autres. C’est la « démocratie » avec un petit d. Voilà le vrai combat qui compte, et c’est là que vous pouvez faire la différence. Développez des technologies qui soutiennent la décentralisation contre celles qui soutiennent la centralisation.

Un sujet brûlant dans les technologies de décentralisation est la Crypto-anarchie : les réseaux de communication et d’anonymisation de pair à pair aident leurs utilisateurs à éviter l’ingérence illégitime des États ; les chaînes-de-blocs offrent un moyen de créer un consensus réparti sans la coercition d’un État.

Un sujet opposé est celui des drones de surveillance, qui peuvent aider à tenir les criminels au pouvoir comptables de leurs actes s’ils sont massivement contrôlés par le public, ou à leur conférer un pouvoir totalitaire si ce sont ces criminels qui les contrôlent.

Si la surveillance répartie anonyme des criminels au pouvoir est réalisée, l’étape suivante serait la Sainte-Vehme : des tribunaux secrets qui déterminent la culpabilité sur la base de preuves consensuelles et faire justice en appliquant la peine capitale. Au Moyen Âge, dans l’ouest de l’Allemagne, ces tribunaux ont été utilisés avec succès pour contrôler les bureaucrates, les riches et les puissants qui pensaient pouvoir violer les droits des plus faibles sans avoir à rendre de comptes.

Bien sûr, lorsque les gens ne comprennent pas mieux la justice que le gouvernement, ils peuvent faire l’injustice plutôt que la justice ; et cette technologie dépend donc de la disponibilité d’une bonne compréhension du Droit ; mais une fois que beaucoup de gens comprennent le Droit, ils peuvent le faire progresser contre l’État en utilisant la technologie existante ainsi que la nouvelle technologie de justice répartie. Le Droit Libéral est l’essence de la civilisation : il est maximalement inclusif et accueille toutes les personnes productives qui reconnaissent les droits des autres, quels que soient leurs motifs, leurs préférences et autres prémisses idéologiques ; et puisque l’État doit nécessairement violer les droits de ses victimes assujetties, et de certaines plus que d’autres, il y a toujours un public pour les idées libérales. Mais le revers de la médaille est que la civilisation se doit d’être exclusive contre les parasites, les personnes violentes, les ennemis déclarés de la civilisation, etc. Les deux aspects sont liés et doivent progresser ensemble ; une technologie qui ne soutient pas la promotion pacifique à la fois des valeurs sociales conservatrices et des mœurs libérales, ou qui ne rejette pas la promotion forcée de l’une ou l’autre, est déficiente. Et il semble que nous manquions encore d’une bonne technologie fiable pour promouvoir ainsi les idées de liberté.

La technologie libératrice la plus puissante, si elle pouvait être réalisée, serait donc la propagation des idées libérales auprès du grand public. L’ère de l’Internet a permis à ces idées de s’épanouir comme jamais auparavant, en connectant ceux qui étaient auparavant isolés. En soi, il s’agit d’un grand pas en avant, mais la technologie existante pour la propagande libérale ne touche manifestement pas plus qu’une petite minorité de personnes qui avaient déjà des penchants libéraux. Pour aller au-delà et toucher une large minorité, voire une majorité de personnes, de nouvelles technologies sont nécessaires. En particulier, les arguments rationnels et la théorie la plus solide ne suffiront jamais. Un exemple concret est toujours plus éloquent. Et c’est pourquoi des initiatives comme le Free State Project sont tout aussi importantes que les essais les mieux écrits et les discours les mieux prononcés — qui ont eux-mêmes plus de valeur que n’importe quelle manifestation d’activiste.

Puissiez-vous, vous aussi, devenir des passivistes et travailler à l’amélioration de technologies en général, et si possible de technologies libératrices en particulier.

19 Autres lectures

I Can Tolerate Anything Except The Outgroup de Scott Alexander

How I Found Freedom In An Unfree World de Harry Browne

The True Believer (Le vrai croyant) de Eric Hoffer

Nock and Leonard Read on “One Improved Unit” and the Power of Attraction de Stephan Kinsella

Isaiah’s Job d’Albert J. Nock

Working and Saving are Revolutionary Acts de Pierre Rochard

20 Les trois portes de la sagesse

(Conte de Charles Brulhart, Décembre 1995)

Un Roi avait pour fils unique un jeune Prince courageux, habile et intelligent. Pour parfaire son apprentissage de la Vie, il l’envoya auprès d’un Vieux Sage.

« — Éclaire-moi le Chemin de la Vie, demanda le Prince. »

« — Mes paroles s’évanouiront comme les traces de tes pas dans le sable, répondit le Sage. Cependant je veux bien te donner quelques indications. Sur ta route, tu trouveras trois portes. Lis les préceptes inscrits sur chacune d’elles. Un besoin irrésistible te poussera à les suivre. Ne cherche pas à t’en détourner, car tu serais condamné à revivre sans cesse ce que tu aurais fui. Je ne puis t’en dire plus. Tu dois éprouver tout cela dans ton coeur et dans ta chair. Va, maintenant. Suis cette route, droit devant toi. »

Le Vieux Sage disparut et le Prince s’engagea sur le Chemin de la Vie. Il se trouva bientôt face à une grande porte sur laquelle on pouvait lire:

« Change le Monde. »

C’était bien là mon intention, pensa le Prince, car si certaines choses me plaisent dans ce monde, d’autres ne me conviennent pas.

Et il entama son premier combat. Son idéal, sa fougue et sa vigueur le poussèrent à se confronter au monde, à entreprendre, à conquérir, à modeler la réalité selon son désir. Il y trouva le plaisir et l’ivresse du conquérant, mais pas l’apaisement du coeur. Il réussit à changer certaines choses, mais beaucoup d’autres lui résistèrent.

Bien des années passèrent. Un jour, il rencontra le Vieux Sage qui lui demanda:

« — Qu’as-tu appris sur le chemin ? »

« — J’ai appris, répondit le Prince, à discerner ce qui est en mon pouvoir et ce qui m’échappe, ce qui dépend de moi et ce qui n’en dépend pas. »

« — C’est bien, dit le Vieil Homme. Utilise tes forces pour agir sur ce qui est en ton pouvoir. Oublie ce qui échappe à ton emprise. Et il disparut. »

Peu après, le Prince se trouva face à une seconde porte. On pouvait y lire:

« Change les Autres. »

« — C’était bien là mon intention, pensa-t-il. Les autres sont source de plaisir, de joie et de satisfaction mais aussi de douleur, d’amertume et de frustration. »

Et il s’insurgea contre tout ce qui pouvait le déranger ou lui déplaire chez ses semblables. Il chercha à infléchir leur caractère et à extirper leurs défauts. Ce fut là son deuxième combat. Bien des années passèrent.

Un jour, alors qu’il méditait sur l’inutilité de ses tentatives de vouloir changer les autres, il croisa le Vieux Sage qui lui demanda:

« — Qu’as-tu appris sur le chemin ? »

« — J’ai appris, répondit le Prince, que les autres ne sont pas la cause ou la source de mes joies et de mes peines, de mes satisfactions et de mes déboires. Ils n’en sont que le révélateur ou l’occasion. C’est en moi que prennent racine toutes ces choses. »

« — Tu as raison, dit le Sage. Par ce qu’ils réveillent en toi, les autres te révèlent à toi-même. Sois reconnaissant envers ceux qui font vibrer en toi joie et plaisir. Mais sois-le aussi envers ceux qui font naître en toi souffrance ou frustration, car à travers eux la Vie t’enseigne ce qui te reste à apprendre et le chemin que tu dois encore parcourir. »

Et le Vieil Homme disparut. Peu après, le Prince arriva devant une porte où figuraient ces mots

« Change-toi toi-même. »

« Si je suis moi-même la cause de mes problèmes, c’est bien ce qui me reste à faire, se dit-il. » Et il entama son troisième combat. Il chercha à infléchir son caractère, à combattre ses imperfections, à supprimer ses défauts, à changer tout ce qui ne lui plaisait pas en lui, tout ce qui ne correspondait pas à son idéal.

Après bien des années de ce combat où il connut quelque succès mais aussi des échecs et des résistances, le Prince rencontra le Sage qui lui demanda:

« — Qu’as-tu appris sur le chemin ? »

« — J’ai appris, répondit le Prince, qu’il y a en nous des choses qu’on peut améliorer, d’autres qui nous résistent et qu’on n’arrive pas à briser. »

« — C’est bien, dit le Sage. »

« — Oui, poursuivit le Prince, mais je commence à être las de me battre contre tout, contre tous, contre moi-même. Cela ne finira-t-il jamais ? Quand trouverai-je le repos ? J’ai envie de cesser le combat, de renoncer, de tout abandonner, de lâcher prise. »

« — C’est justement ton prochain apprentissage, dit le Vieux Sage. Mais avant d’aller plus loin, retourne-toi et contemple le chemin parcouru. » Et il disparut.

Regardant en arrière, le Prince vit dans le lointain la troisième porte et s’aperçut qu’elle portait sur sa face arrière une inscription qui disait:

« Accepte-toi toi-même. »

Le Prince s’étonna de ne point avoir vu cette inscription lorsqu’il avait franchi la porte la première fois, dans l’autre sens. « Quand on combat, on devient aveugle se dit-il. »

Il vit aussi, gisant sur le sol, éparpillé autour de lui, tout ce qu’il avait rejeté et combattu en lui: ses défauts, ses ombres, ses peurs, ses limites, tous ses vieux démons. Il apprit alors à les reconnaître, à les accepter, à les aimer. Il apprit à s’aimer lui-même sans plus se comparer, se juger, se blâmer.

Il rencontra le Vieux Sage qui lui demanda:

« — Qu’as-tu appris sur le chemin ? »

« — J’ai appris, répondit le Prince, que détester ou refuser une partie de moi, c’est me condamner à ne jamais être en accord avec moi-même. J’ai appris à m’accepter moi-même, totalement, inconditionnellement. »

« — C’est bien, dit le Vieil Homme, c’est la première Sagesse. Maintenant tu peux repasser la troisième porte. »

À peine arrivé de l’autre côté, le Prince aperçut au loin la face arrière de la seconde porte et y lut:

« Accepte les Autres. »

Tout autour de lui il reconnut les personnes qu’il avait côtoyées dans sa vie. Celles qu’il avait aimées et celles qu’il avait détestées. Celles qu’il avait soutenues et celles qu’il avait combattues. Mais à sa grande surprise, il était maintenant incapable de voir leurs imperfections, leurs défauts, ce qui autrefois l’avait tellement gêné et contre quoi il s’était battu.

Il rencontra à nouveau le Vieux Sage.

« — Qu’as-tu appris sur le chemin ? demanda ce dernier. »

« — J’ai appris, répondit le Prince, qu’en étant en accord avec moi-même, je n’avais plus rien à reprocher aux autres, plus rien à craindre d’eux. J’ai appris à accepter et à aimer les autres totalement, inconditionnellement. »

« — C’est bien, dit le Vieux Sage. C’est la seconde Sagesse. Tu peux franchir à nouveau la deuxième porte. » Arrivé de l’autre côté, le Prince aperçut la face arrière de la première porte et y lut:

« Accepte le Monde. »

« Curieux, se dit-il, que je n’aie pas vu cette inscription la première fois. »

Il regarda autour de lui et reconnut ce monde qu’il avait cherché à conquérir, à transformer, à changer. Il fut frappé par l’éclat et la beauté de toute chose. Par leur Perfection. C’était pourtant le même monde qu’autrefois. Était-ce le monde qui avait changé ou son regard ?

Il croisa le Vieux Sage qui lui demanda:

« — Qu’as-tu appris sur le chemin ? »

« — J’ai appris, dit le Prince, que le monde est le miroir de mon âme. Que mon âme ne voit pas le monde, elle se voit dans le monde. Quand elle est enjouée, le monde lui semble gai. Quand elle est accablée, le monde lui semble triste. Le monde, lui, n’est ni triste ni gai. Il est là, il existe, c’est tout. Ce n’était pas le monde qui me troublait, mais l’idée que je m’en faisais. J’ai appris à l’accepter sans le juger, totalement, inconditionnellement. »

« — C’est la troisième Sagesse, dit le Vieil Homme. Te voilà à présent en accord avec toi-même, avec les autres et avec le Monde. »

Un profond sentiment de Paix, de Sérénité, de Plénitude envahit le Prince. Le Silence l’habita.

« — Tu es prêt, maintenant, à franchir le Dernier Seuil, dit le Vieux Sage, celui du passage du Silence de la Plénitude à la Plénitude du Silence. »

Et le Vieil Homme disparut.